Comprendre les musées au Liban, des récits en construction
14/02/2024|Anne-Marie Maïla Afeiche
Mises à part les réouvertures à Beyrouth des Musées Sursock et de la Préhistoire Libanaise (USJ), tous deux particulièrement touchés par la double explosion du 4 août 2020, de nouveaux musées ont vu le jour au Liban au cours des dernières années. Méconnus du grand public, ces musées privés sont nés grâce à l’initiative de leur propriétaire. Non moins d’une centaine de musées sont aujourd’hui répertoriés au Liban. Mais la question qui se pose est de savoir si effectivement toutes ces institutions méritent d’être qualifiées de «musées».
En l’absence de lois relatives aux musées et d’un cadre législatif qui auraient donné les directives adéquates quant à leur création, leurs missions, leur accessibilité au public, on s’appuiera sur la définition du musée telle qu’adoptée lors de la conférence de l’ICOM (International Council of Museums) à Prague en août 2023:
Un musée est une institution permanente, à but non lucratif et au service de la société, qui se consacre à la recherche, la collecte, la conservation, l’interprétation et l’exposition du patrimoine matériel et immatériel. Ouvert au public, accessible et inclusif, il encourage la diversité et la durabilité. Les musées opèrent et communiquent de manière éthique et professionnelle, avec la participation de diverses communautés. Ils offrent à leurs publics des expériences variées d’éducation, de divertissement, de réflexion et de partage de connaissances.
Dans la diversité des spécialités (Archéologie, Beaux-Arts, Sciences et Technique, Histoire, Histoire naturelle, Anthropologie, etc.…) qu’offre chaque institution, publique soit-elle ou privée, le dénominateur commun qui les caractérise reste la collection, son exposition, sa conservation et sa diffusion. La bonne gouvernance d’un musée implique également des pratiques qui garantissent des expériences d’éducation et de divertissement à tout public. Et si le rôle du musée se reflète dans les enjeux de la société, c’est dans le respect de la diversité et de l’accessibilité à tous qu’il devrait s’épanouir.
La société libanaise est fière de son patrimoine tangible et intangible, même si à certains égards il reste mal connu ou méconnu. Il n’est pas nécessaire ici de penser au passé, mais au patrimoine au sens plus large c’est-à-dire à l’ensemble des biens reçus en héritage, dont la protection et le respect n’ont malheureusement jamais été considérés comme une priorité.
C’est aussi dans cette mesure qu’il nous semble que, dans notre pays, les exigences professionnelles ne sont pas toujours prises en considération. La tendance est de qualifier un peu trop hâtivement de «musée» toute exposition d’œuvres.
Cet espace est-il pérenne ou fermera-t-il ses portes en l’espace de quelques mois, voire quelques années après son inauguration? Il est évident qu’un musée ne peut survivre uniquement grâce aux rentrées générées par les visiteurs. D’autant plus que selon la définition susmentionnée, l’institution se doit d’être à but non lucratif. Dans ce cas, quelle stratégie pourrait être envisagée par ces nouveaux musées pour subsister ? Du point de vue de la mission pédagogique, qui est au cœur de tout projet muséal, on est en droit de se demander si le musée parviendra à assumer son rôle. D’autre part, le code d’éthique qui définit les principes de base du monde muséal est souvent méconnu. Et finalement, il ne faut pas oublier que le musée consiste aussi en un bâtiment à gérer, en une équipe professionnelle qui le régit et qui travaille à préserver son précieux contenu. Force est de constater le peu d’effectifs et quelquefois l’absence de professionnels au sein de ces musées émergeants.
Et pourtant, pourquoi ne pas poser un regard positif sur nos musées même si l’on considère qu’ils ne répondent pas toujours à nos attentes?
Une visite de musée doit être avant tout plaisante et l’objectif est de faire découvrir au public un patrimoine commun ou insolite. Le travail en amont qui a été fait pour rassembler une collection dans un lieu est déjà une gageure et certainement le résultat d’une passion. N’est-ce pas suffisant pour valoriser nos musées ? Même ceux qui ne répondent pas à tous les critères signalés dans la définition de l’ICOM ?
Sans espace de réserves, sans plan d’urgence prévu, sans auditorium, sans médiation qui marierait pédagogie et expériences ludiques, ces « musées » racontent toujours une histoire. Malgré un parcours de visite chaotique, ils dévoilent un bâtiment, exposent une collection longtemps demeurée cachée, révèlent l’histoire d’individus dont le souvenir mérite d’être préservé…
En définitive, les initiatives sont louables et témoignent de la volonté de tous, chacun à sa manière, de présenter dans des «musées» un ensemble d’œuvres collectées et conçues au prix d’efforts certains.
Et si la création de nouveaux musées reflétait principalement la prise de conscience de l’importance de la sauvegarde et de la préservation de notre riche patrimoine culturel libanais ?
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