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Confessions en temps de guerre : Maral Der Boghossian

15/10/2024

Où sont nos acteurs culturels en temps de guerre et que font-ils ?

L’Agenda Culturel est allé à leur rencontre pour les interviewer et les écouter.

 

Maral Der Boghossian, artiste peintre. Vit à Beyrouth.

 

Comment allez-vous ?

Je ne vais pas bien, car mon pays ne va pas bien. Alors je suis affectée par l'ambiance de tristesse, de destruction et de morts qui arrive dans une grande partie du pays.

Il y a deux mois je me demandais qu'est ce qui nous attend en 2025 ? Alors voilà j'ai eu la réponse - Soit c’est la guerre qui continuera jusqu'en 2025 avec risque de se transformer en guerre régionale ou il y aura un cessez le feu et nous devrons assumer les conséquences physiques, psychologiques et socio-économiques de la destruction provoquée.

 

De quoi est fait votre quotidien en temps de guerre ?

Je me réveille un peu tard puisque je n'ai pas de délai. Pas d'enseignement d'art pour le moment. Je suis chez moi la plupart du temps. 

Et comme j'ai plus de temps libre (quoique stressée) je cuisine surtout des salades, des plats avec des légumes. Je prends soin de ma santé. Je marche chaque jour, je fais des exercices de respiration. Les premières deux semaines j'ai passé beaucoup de temps devant la télé à regarder les infos de la guerre. Et j'ai commencé à avoir très peur je me suis même déprimée. La troisième semaine j'ai décidé de ne voir les infos que 2 fois dans la journée et ce sur X ou page instagram des chaînes télévisées. C'est à ce moment que j'ai décidé à reprendre la peinture, la cuisine, la marche et un peu de technique de respiration pour me détendre. Mais je ne suis pas déconnectée de la réalité.

J'ai les pieds sur terre et parfois j'entends même le son des bombardements qui sont à 6-8 kms loin de moi dans la banlieue sud de Beyrouth. Mon quotidien ces temps-ci est très simple.

 

Continuez-vous votre activité artistique ?

Oui je continue mon activité artistique. Le dessin, la peinture ont toujours été pour moi une consolation, une thérapie.

Je me rappelle très bien encore en 1989 et 1990 pendant la guerre civile, on se cachait sur les escaliers de notre immeuble, puis quand il n'y avait pas de bombardement on remontait chez nous au 8ème étage, soit on se faisait plaisir à cuisiner de bonnes choses à manger et moi je passais beaucoup de temps à peindre. J'avais 12-13 ans à l'époque et pendant deux ans nous avons fréquenté très peu l'école. Les écoles étaient presque toujours fermées par mesure de sécurité. 

Les guerres détruisent et volent beaucoup de choses précieuses de nos vies. Mais le droit de rêver et de se sentir en sécurité au fond de moi même dans les moments où je peins, ça on ne peut pas le voler de moi. Vous savez, depuis les 20 dernières années le thème de ma peinture c'est les façades, et les toits des maisons. On dirait même une obsession de maison dans mes peintures : j'ai vécu plusieurs guerres depuis mon enfance, j'ai vu notre appartement complètement détruit. En 1978 six bombes ont aplati notre toit. Six bombes, imaginez…, et on disait à l'époque que c'était un bombardement aléatoire... Puis j'ai vu un oncle et mon grand-père blessés. Mon oncle est resté handicapé à vie. Mon grand père est mort après 10 ans à cause de sa greffe qui a raccourci sa vie. Et ainsi d'autres destructions durant d'autres guerres qui ont frappé le pays et surtout Beyrouth. Dont la dernière la double explosions du port qui a encore une fois ravagé ma maison. Alors tant que j'ai de la peinture et tant que je suis en vie je vais peindre.

 

Comment envisagez-vous l’avenir du Liban ?

Je n’envisage rien pour le moment. Je ne pense même pas au lendemain. Ni au niveau personnel et ni pour mon pays.

 

Pour tromper la peur, que suggérez-vous à nos lecteurs ?

Pour tromper la peur ? il faut faire des choses qui vont éventuellement diriger les pensées dans une autre direction. Par exemple faire travailler les mains en faisant le tricot, des travaux manuels, dessin, peinture... Cuisiner un bon gâteau c'est bien aussi, ça donne du plaisir. Ça peut aider beaucoup à oublier la peur puisque en s'occupant à terminer une tâche on se concentre et on oublie même qu'on est là et souvent on commence à chanter une chanson ou imiter le son d'une musique que l'on aime. C'est ça qui aide le plus, cette musique positive qui vient de notre intérieur ou encore mieux, l'image qui existe dans notre imaginaire rayonne de la beauté et de la sérénité. Il faut savoir refléter la beauté de notre âme sur le monde extérieur car en ce moment l'extérieur est triste et laid. 

 

De la musique douce et méditative au coucher peut aussi aider à oublier momentanément la guerre. Tous ces efforts sont faits dans le but de prendre des breaks de la réalité dans le pays qui est affreuse, chaotique, cauchemardesque et inacceptable. 

Et même si on n'arrive à ne rien faire de toutes les suggestions mentionnées ci-dessus, il faut juste éteindre la télé ou bien fermer les pages d’infos sur le portable et faire une longue sieste et la répéter chaque jour. 

 

Un dernier mot ?

Un dernier mot ? Ou bien une dernière question ? 

Pourquoi le mot "guerre" est féminin ? Alors que tous les acteurs politiques dans cette guerre sont tous des hommes ?







 

 

 

 

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