Ebb and Flow : on power and loss, un titre d’exposition énigmatique traduit en français par Agitations : du pouvoir à la perte. Il serait aisé de croire au premier regard qu’il s’agit d’une mise en confrontation, l’exposition d’un paradoxe dont le pouvoir et la perte sont des composantes. Or, ces éléments aux dynamiques propres se rejoignent derrière un dénominateur commun, l’agitation que l’on peut préciser par le mouvement, l’action qui brise le tangible. Cette dualité est explorée tout au long de cette exposition composée de deux séries de travaux. Celle-ci est multiscalaire, s’illustrant d’un point de vue réflexif puis visuellement par les diverses compositions. Aussi, la dualité participe à un équilibre tout autant qu’il est un fil de compréhension pour saisir How to stop growing a rock par le duo d'artistes Laetitia Hakim et Tarek Haddad. Elle est perceptible également à travers Eulogy to my Roots d’Elias Nafaa par une opposition entre l’ancrage à la terre et ce qui virevolte. Bien que très différents, les deux séries de travaux dialoguent, s'entrecroisent, s’entrechoquent, se répondent mutuellement ; engendrant une discussion graduelle autour de la perte et du pouvoir qui tutoie l’universel par leur polysémie. Une invitation à converser avec soi-même ou les autres autour de la perte et du pouvoir jusqu’au 22 avril à la Galerie Tanit.
Avant d’élaborer cette exposition commune, les artistes avaient présenté leurs travaux lors de l’exposition Togetherness en 2021, la première après l’explosion du port. Récemment, Naila Kettaneh, propriétaire de la Galerie Tanit, leur a proposé d’exposer ensemble, en leur laissant le libre-arbitre pour organiser l’espace comme ils l’entendent. Plutôt que de séparer strictement en deux la galerie, ils ont choisi de mêler leurs travaux par une scénographie précise réfléchie avec Marc Mouarkech, curateur de l’exposition. De cette scénographie ressort un dialogue, issu de conversations préalables, forgeant un itinéraire réflexif et artistique soigné, afin de rendre compréhensible une série de questionnements.
L’exposition débute par les créations du duo composé de Laetitia Hakim et de Tarek Haddad, naissant après la révolution de 2019. À l’origine photographes, ils ont entrepris un projet qui s’est composé au fur et à mesure de plusieurs médias artistiques. Au moment de la révolution, ils n’ont pas souhaité documenter les événements mais souhaitaient comprendre leur ressentis, ce qu’il se produisait dans les rues avec la complexité régnante. Tout a commencé par la volonté de rendre intelligible ces ressentis et de comprendre ce qui se passait. Les artistes l’ont conçu sous forme d’un jeu connu de tous : pierre, papier, ciseaux pour initier une réflexion sur l’équilibre : la pierre bat les ciseaux, les ciseaux battent le papier, le papier bat la pierre. Ils ont exploré ce schéma en supprimant un élément, les ciseaux. La relation entre la pierre et le papier est explorée tout au long des travaux, la paire de ciseaux représente in fine le changement, celle qui brise l’équilibre.
À la suite de ce premier chapitre, les travaux d’Elias Nafaa initient une réflexion sur la perte notamment à travers le deuil, la chute ainsi que les racines. Celui-ci a une démarche intimiste, à l'origine de ses bois gravés, des événements personnels : des incendies qui ravagent une réserve naturelle dont fait partie son village natal, puis peu après le décès de son grand-père. Il questionne les points d’ancrage par un travail séquentiel où réside le protagoniste, grandissant au long de la série. Ce protagoniste est illustré à travers plusieurs milieux au sein de triptyques et parfois isolé de son cadre. Elias durant cette procession pose implicitement la question suivante : peut-on se détacher de ses points d’ancrages ? Peut-on se détacher de ses racines, de ses bagages ? Une nouvelle fois, par ses questionnements l’on touche une conscience collective et ses interrogations.
Si le duo à une approche expérimentale, presque scientifique, comme Laetitia Hakim l’évoque relevant du “clinique”, Elias travaille avec les mêmes éléments, du bois de cèdre gravé et peint en blanc qui se décline tout au long de la procession et permet d’isoler et de se fondre dans le récit. La fin de l’exposition n’implique pas la fin de la conversation, les artistes invitent aux questionnements. L’entrecroisement de ces travaux permet d’illustrer sous plusieurs formes ces questionnements, en n’omettant pas l’essence commune aux réflexions abordées.
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