Qu’est-ce que le Digital Mingei
Dans la première moitié du vingtième siècle, le philosophe Soetsu Yanagi a défini, avec ses deux amis potiers, un ensemble de la production artisanale japonaise (et coréenne) comme: Mingei. Cette appellation, qui donne une identité intellectuelle à une production locale et archipelisée, a structuré et promut une production dont le philosophe a tenté de définir les termes et enjeux.
Je tente un (lourd) haiku pour synthétiser la notion de Mingei: Objets issus de La lente maturation, transgénérationnelle, des typologies d’objets et des processus, faits de matériaux locaux, fabriqués avec les opportunités des techniques développées autour des caractéristiques pratiques de ces matériaux, avec une sage économie de matériaux et de gestes qui leur confère, par voie de conséquence, une beauté sculpturale.
D’où vient alors cette alliance de mots: ‘Digital Mingei’?
Lorsque la révolution industrielle a divisé les artisans en designers-ingénieurs d’un coté et en ouvriers de l’autre, elle a tué un modèle social et avec lui sa production. Dans sa constante quète d’efficacité ont été créées des machines de plus en plus sophistiquées pour des tâches de plus en plus répétitives. Au sommet de cette évolution se trouvent les grands bras robots et les outils à commande numérique.
La numérisation, couplée à l’obsolescence ont eu un effet inattendu: une population de créatifs, notamment des architectes, se sont emparés de ces machines et, plutôt que des les utiliser pour répéter des tâches le plus rapidement possible, se sont ateller à les employer à découvrir quels potentiels elles auraient dans un usage créatif.
Ce soudain retournement, a donné naissance à une nouvelle génération: les makers, de nouveaux artisans, qui défrichent un ‘artisanat digital’: outillés de ces robots qui creusent la matière ou im- priment en 3D, ils fabriquent eux-mêmes leurs designs, découvrant des «objets émergents», les recommençant jour après jour, dans une démarche d’artisan.
A Bits to Atoms, guidés par les opportunités des processus de fabrication que nous avons mis au point, une volonté de n’utiliser que des matières locales, recyclables ou recyclées, nous créons des objets le plus souvent mono-matériel, avec une simplicité qui découle de l’usage et des contraintes de fabrication.
Ces objets ont une grande familiarité avec ceux du Mingei. Ils sont le fruit d’un patient travail d’artisan, ils partent du matériau et de ces possibilités, s’appuient sur des typologies qu’il ré-écrivent intimement.
Nos grands objets imprimés en 3D par nos robots industriels, sont robustes, minimalistes, mo- no-matériels, faits de recyclés et recyclables. Ils se passent de toute finitions, et sortent bruts de l’impression dans une démarche toute ‘wabi-sabi’(1) qui embrasse tous les stigmates de la fabrication.
La conception générative qui dirige la plupart de nos objets guide l’usage de la matière vers son optimal et donne aux formes tout leur sens : celui des besoins structurels, ainsi côtes, raidisseurs, noues et nervures organisent les formes dans la logique du matériau.
On voit bien dans les chaises en papier recyclé, issues du procédé: ‘Pulp Fusion’(2) que nous avons créé, le caractère brut et naturel de la matière, les formes qui sont ajustées par les contraintes du processus et la relativement faible résistance du papier. Elles font partie de la fa- mille Mingei, un lent artisanat, qui met au point ses outils, ses processus, ses matériaux, qui face aux difficultés, fini par trouver la forme qui fonctionne tant comme objet fini que comme application du processus.
Développant le potentiel de la conception et fabrication digitales vers des échelles plus grandes, Bits to Atoms conçoit et fabrique de grandes structures géodésiques, tressages optimaux qui définissent des espaces. Ce passage d’échelle n’est pas évident, et plusieurs pistes sont suivies parallèlement par des chemins de matérialités différentes: plastiques recyclés, bois, argile locale et métal repoussé. Ces recherches sont portées par un système d’apprentissage et d’ateliers ainsi que par le collectif BeirutMakers.
Porteurs d’une vision pour un futur plus durable, qui continue une évolution de savoir-faire pour faire apparaître des créations originales, issues d’une démarche honnête et économe, une nouvelle génération d’artisans est en train d’apparaître. Constituée principalement d’architecte, elle s’attaque à la question du bâtiment avec une approche nouvelle, des matérialités, une tectonique, des procédés, nouveaux. Est-ce le chemin pour sortir du cauchemar climatique fruit de la révolution industrielle ?
(1) Philosophie japonaise qui tend à laisser le matériau s’exprimer. Par exemple: le bois sera plutôt fendu en suivant ses fibres natu- relles, que coupé.
(2) Processus développé par Bits to Atoms, qui permet de fabriquer des objets en papier recyclé qui portent des graines et des nutri- ments. Si elles sont jetées, au bout d’un hivers elles se décomposent, et au printemps font pousser des arbres et des fleurs.
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