Elle est morte. Pas besoin d’expliciter. Elle, c’est celle que le monde a pleuré pendant plus de 12 jours. Celle qui a mobilisé tous les médias de la planète. Celle pour qui les drapeaux ont été mis en berne durant trois jours, au minimum, même dans les pays qui n’ont jamais eu affaire avec elle directement. Suivez mon regard.
C’était une grande dame, certes. Qui a veillé royalement sur la Monarchie. Qui a consacré sa vie à son rôle de souveraine. Elizabeth II a assuré, avec beaucoup de diplomatie, la stabilité, la continuité, la sécurité de la Couronne. Et si cette dernière a tenu le coup après la vague de décolonisation (et à quel prix!), c’est notamment avec cet organisme extraordinaire, le Commonwealth, qui a tissé des liens culturels, sociaux et politiques entre tous les membres de ce qu’était l’Empire britannique. Cette organisation non contraignante qui se réunit une fois tous les deux ans (la dernière en date remonte à juin 2022, à Kigali) a vu, grâce à la reine Elizabeth II, son nombre augmenter de neuf à 56 (avec deux entrées cette année : celle du Togo et celle du Gabon). Ce qui veut tout dire.
Sa majesté a su garder dans son giron ceux qu’elle tenait, par le passé, avec le bâton.
Et ce n’est pas peu dire.
Oublions la Barbade qui a rompu en 2021 avec la Monarchie, les Maori en Nouvelle Zélande (qui ont vu 90 de leurs terres confisquées par la Couronne et une assimilation culturelle brutale), qui réclament aujourd’hui la séparation avec elle; ni surtout la plaque tournante de l’esclavagisme sous le règne anglais, la Jamaïque, qui veut maintenant, elle, lui tourner le dos. Oublions le ressentiment des anciennes colonies. Celui des Mau Mau au Kenya qui ont connu une répression sanglante qui a coûté la vie à plus de 100.000 personnes et de 300.000 autres. Celui du Nigeria envers l’ingérence britannique dans la guerre du Biafra et la famine qui en a suivi. Oublions les excuses que la Reine n’a jamais présentées pour les sévices, les exploitations et le mal fait aux peuples indigènes qui réclament des restitutions, réparations, compensations…
Oublions ces commentaires amers.
La cérémonie d’Elizabeth II qu’elle aurait prévue au millimètre était parfaite. Orchestrée au quart de tour. Aussi belle que grandiose, alliance parfaite de l’église catholique et de la tradition protestante, royauté au complet, contemplative et réservée, images extraordinaires, retransmission planétaire… Un « zéro faute ». Bravo les Anglos.
Certes la logistique était irréprochable : 12000 barrières, 20 rues barrées, 10 000 agents de sécurité et autant de drones pour surveiller tout ça, des cortèges comme autant d’œuvres d’art en mouvement…
L’étalage de la puissance du Royaume uni (Pays de Galles, Irlande du Nord et Angleterre) était à son summum. Représentants des armées du Commonwealth, gendarmerie royale, casques, chevaux, galons, étalons étaient tous au garde à vous. Menés comme pour une bataille, comme celles du Duc de Wellington à qui on a dressé un arc de triomphe où toutes les batailles qu’il avait gagnées contre Bonaparte étaient célébrées. C’est jusqu’à cet arche que les 152 marines ont tiré, avec des cordes, l'attelage du cercueil de la reine avant de le céder au corbillard qui a emmené la défunte à sa dernière demeure, Windsor, où elle a retrouvé ceux des siens qui l’ont devancée.
Nul doute que les Britanniques ont saisi l’occasion pour réitérer la force de la Monarchie : insignes, galons, képis, épées, crosses, casques, perruques… De quoi nous remémorer tout le poids de cette ancienne puissance coloniale. Organiser un événement de cette envergure avec toute sa précision et son faste a prouvé encore une fois la force des Anglais, et autant de talent et de pouvoir qu’il leur a fallu pour mener leurs troupes aux quatre coins du globe.
Il y avait même de l’émotion à ces funérailles royales, peut-être moins dans Westminster Abbaye où se trouvaient toutes les têtes couronnées (tant de rois et reines encore dans cette Europe et ailleurs ?!), plus de 500 dignitaires. Pourtant il y eut un silence absolu de quelques 2000 personnalités du gotha politique et mondain pendant deux longues minutes debout, et qui ont chanté d’une seule voix « God save the King » devant un Charles III, le nouveau roi, tremblant d’émotion contenue. Prodigieux.
Il y avait surtout quatre milliards de spectateurs… QUATRE MILLIARDS qui s’étaient donné rendez-vous pour suivre cet évènement : fidèles (Entre 750.000 et un million de personnes se sont déplacées pour saluer sa dépouille), anciens « sujets » « attachés par défaut à la Couronne britannique », curieux ou M.et Mme Tout le monde. De quoi justifier cette expression qu’on lance à celui qui exige des honneurs : « Te prends-tu pour la reine d’Angleterre ? »
Il est difficile au premier abord de comprendre ce raz-de-marée d’intérêt.
À commencer par la présence massive des Britanniques qui sont venus s’incliner et se recueillir sur plus de 16 kilomètres spécialement aménagés pour accueillir l'immense queue de plus de 10 heures permettant de voir le cercueil de la reine. Est-elle due à une longue cohabitation avec la figure charismatique de la famille royale (les moins de 70 ans n’ont jamais vécu sans la reine dans leur rétroviseur) ? Au sentiment de la fin d’une époque et de tout ce que la reine symbolisait ? Était-ce un moment cathartique pour dire aurevoir à la grande disparue qui a fait partie de leur vie, de celle de leur mère ou de leur grand-mère ? Est-ce par tradition de participer à ce qui se passe dans la vie civique ? Par curiosité pour le croustillant des potins habituels de Buckingham Palace ? Parce qu’elle symbolise la grandeur du Royaume Uni ?
Même les plaintes et complaintes des Anglais frappés par une inflation de 10 % (qui serait la plus forte en Europe) se sont tues. Et jusqu’au temps qui avait semblé suspendre son vol, puisqu’aucun avion n’a traversé le ciel de la capitale durant les funérailles.
Silence de mort à Londres. La reine est morte.
L’intérêt (et la présence sur place) multigénérationnelle pour le décès de sa majesté pourrait s’expliquer en Grande-Bretagne. Mais au-delà des frontières anglaises ?
Est-ce la force d’attraction de la Grande Bretagne, bien que ce ne soit plus une puissance économique (à l’instar de la Chine ou du Japon) ? À observer ces funérailles, on se croirait remonter dans l’histoire avec les trompettes qui claironnent durant l’office religieux, la cornemuse qui fait son show, les costumes et les fracs d’apparat. Les épées et les étendards, la réapparition des ducs, des comtes… On aurait cru rêver.
Est-ce le pouvoir symbolique que la reine a su imposer en gardant des liens solides avec ce qu’était l’Empire, rien que par la diplomatie, sans jamais recourir à une quelconque violence ou annexion (ce qui pourrait expliquer pourquoi des régimes dictatoriaux comme la Russie, la Syrie, l’Afghanistan, la Birmanie, la Corée du Nord n’ont pas été invités à la cérémonie ?)
Est-ce un résidu d’une mentalité de colonisé ? Une sorte de syndrome de Stockholm ? La vénération de la richesse ? La fascination de la toute puissance ?
Pourquoi étions-nous scotchés à nos écrans ? Parce que le « spectacle » qui nous fait rêver dans les films et les séries était cette fois-ci live, pour de vrai ? Est-ce pour nous divertir et nous éloigner de notre quotidien de plus en plus inquiétant et cela quelle que soit notre latitude ?
Sommes-nous devenus une société planétaire dont l’intérêt exponentiel pour les « people », les shows, les festivités (même mortuaires) télévisées draine tous nos désirs (et nos capacités) de loisirs ?
Le faste serait-il devenu notre nouvelle spiritualité ?
Quoiqu’il en soit, à la chapelle St Georges, avant de l’inhumer ce lundi 19 septembre 2022, on a retiré du cercueil de la reine Elizabeth II le sceptre et l’orbe, symboles du pouvoir monarchique et du monde chrétien ainsi que sa couronne d’État impériale composé de 2868 diamants, 269 perles, 17 saphirs et 11 émeraudes.
Le lendemain matin, mardi, on annonçait qu’en marge de l’Assemblée générale des Nations Unies, 238 organisations non gouvernementales déploraient la faim dans le monde où chaque quatre secondes, QUATRE SECONDES, un enfant mourait de faim. Étiez-vous au courant ?
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