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Goûter Beyrouth, savourer le Liban

06/05/2021|Emma Moschkowitz

“Je ne connaissais pas le Liban, ni sa culture, ni sa langue, mais je considère la cuisine comme une langue à part entière. Pour ma part, je parle français, japonais, et cuisine. Dans n’importe quel pays, par le langage de la cuisine, on comprend plus de choses que d’autres qui ne parlent pas cette langue”. Débarquée à Beyrouth le 7 avril 2018, Ryoko Sekiguchi entreprend alors une résidence d’écriture destinée à collecter les goûts, les saveurs, les odeurs qui font la cuisine beyrouthine: "À Beyrouth, il existe la cuisine que l’on pourrait qualifier d’officielle, mais aussi la cuisine servie dans les bars, les restaurants occidentaux, asiatiques, arméniens, etc. C’est cette variété qui crée la richesse de la cuisine de la ville. On ne peut pas affirmer que tel plat est représentatif de la cuisine libanaise, c’est beaucoup plus complexe que cela. Et d’ailleurs, j’avais l'impression que plus je goûtais, moins j’en connaissais”. 

 

Au détour de chaque rencontre, à travers chaque geste, dans chaque lieu, l’autrice rend compte de ses découvertes, et en retire des arômes, des parfums :“La cuisine libanaise est une cuisine qui se rapproche de la nature, une cuisine fraîche, verte, au plus près de la richesse des montagnes. C’est une cuisine très aromatique. C’est la célébration des saisons, en rythme avec la nature et ses changements. La consommation des amandes fraîches par exemple montre à quel point la cuisine libanaise est attentive à tous les stades de la vie d’un arbre”. 

 

Pas de grammage ni d’étapes dans ce livre de cuisine, mais un hommage aux savoir-faire et aux techniques de nos cuisiniers que chacune de ses descriptions sublime : “J’adore la culture des mouneh. Les Libanais ont su utiliser la recherche pour conserver au-delà des saisons. C’est le geste des cuisiniers qui perdure, et cela en dit long sur l’histoire de la cuisine libanaise", explique-t-elle. Et d’ajouter, “chaque fois qu’on m’a offert un sachet de zaatar, on m’a dit “c’est le meilleur du monde”. Chacun a son zaatar, et c’est incroyable, car ça en dit beaucoup du goût, de la personnalité. Tout le Liban partage cette même saveur, sans qu’elle ne soit jamais pareille”. 

 

Une manière unique de percevoir la cuisine donc, et d’en retirer l’âme, le pouls d’une ville qui n’est plus tout à fait la même. Si la révolution puis l’explosion ont ostensiblement altéré l’essence de Beyrouth, Ryoko Sekiguchi offre ici le témoignage d’un patrimoine qu’aucune catastrophe ne peut annihiler, et le souvenir d’une capitale que chacun garde dans son cœur, dans l’espoir de retrouvailles. “On peut compter le nombre de morts, le nombre de bâtiments détruits, mais derrière, la vie des gens ne peut pas être comptabilisée. L’odeur du magnolia, par exemple, qui poussait au coin d’une rue, les mets préparés tous les soirs. Ce sont des détails qui peuvent paraître insignifiants, mais qui constituent la vie de chacun, et ne seront jamais évalués dans les statistiques. Le rôle de l’écrivain, selon moi, est de laisser cette trace sur le papier, qui permette aux gens de se souvenir, et de recréer ces souvenirs gustatifs. C’est important de dépeindre ce qui constituait la vie des Beyrouthins d’avant la catastrophe. De rendre compte de cette ville pleine de vitalité, de fleurs, etc. Quand on observe tous les jours un paysage dévasté, on oublie qu’il y avait avant, au même endroit, une vie qui brillait. Il faut entretenir une sorte d’archive des cinq sens”. 

 

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