Le synopsis est attirant, un peu hors du commun et pourtant si familier. Plusieurs amis d’enfance que le temps et la distance ont éloigné se voient contraints de se confiner ensemble dans un appartement de Beyrouth après qu’un des membres du groupe soit désigné comme potentiellement positif au coronavirus. Durant deux jours, ils confronteront leurs différences et s’agripperont, par la force des choses, à ce lien humain qui les lie en dépit des tournants qu’ont pris leurs destinées. Pensée et mise sur papier durant le premier confinement de l’année 2020, Halaa est farouchement marquée au fer rouge par le contexte qui a été la première source d’inspiration de Samer Hanna. Mais il y a aussi, dans les méandres de cet appartement, la toile tissée de la société libanaise dans sa globalité.
Six acteurs pour six millions de représentés
Samer Hanna appartient un peu au genre naturaliste. Inspiré par les choses qu’il observe, il aime s’atteler à celles dont on ne parle pas assez, les aléas du quotidien auxquels on s’est maladivement habitués. Pour lui, la pandémie de coronavirus n’a pas seulement été une brèche lui permettant d’absorber les idées à tête reposée. Mais elle l’a acculé pour lui offrir un panorama de la société libanaise dans toute sa multiplicité, dans ce qui la définit et dans ce qui la détruit. « Au moment où nous sommes entrés pour la première fois en quarantaine, ne sachant pas l’ampleur du phénomène et n’ayant pas idée de sa gravité, j’ai été fasciné par les réactions des gens, dont j’ai souvent lié la nature à leur classe sociale » raconte Samer. L’appartement reconstitué est donc une lucarne sur la communauté libanaise. Entre la personne qui ne pense qu’à sortir, et l’autre qui se languit car l’extérieur est sa seule source de revenus, il y a un monde, et deux mètres seulement sur scène. L’auteur a joint les lignes parallèles, le temps d’une représentation, d’une mélopée nostalgique. Pour payer un tribut notamment à ceux qui partent, mais aussi à ceux qui restent. « Le sujet de l’émigration, pilier de la pièce, est un des plus sensibles pour moi. En l’espace de deux ans, j’ai vu partir mes amis les plus proches et une grande partie de ma famille. Tous vont quérir une partie du monde où leur dignité n’est pas empiétée. Pour moi, les cicatrices ne sont pas closes. Je veux montrer que ces voyages sont des opportunités dont tous les protagonistes sont victimes ».
À chacun ses responsabilités
Pour sa deuxième comédie musicale, l’auteur de Yamma Mia (2019) s’engage contre son gré. Il ne voulait pas politiser son œuvre. Et pourtant, plusieurs répliques condamneront explicitement en juillet l’Etat et ses responsabilités. Une prise de position, sans prendre parti. « Ces quelques répliques répriment le système en tant qu’entité, car l’essence de la pièce n'est pas dans le reproche, mais dans l’apport personnel que chacun pourra arrimer dans son quotidien » explique Samer. Et d’ajouter : « Notre pays met à notre disposition une palette de couleurs. Il nous incombe de choisir celle qui nous convient. Tout est question de perspective. C’est le personnage de Pamela qui brandit ce message. Elle est l’allégorie de toutes les difficultés qui enclavent la classe moyenne, devenue pauvre. Je n’ai pas voulu lui donner une fin joyeuse, mais plutôt une fin ouverte sur des possibilités » explique Hanna.
Détenteur d’un double diplôme en gestion et en théâtre, son retour sur scène, qu’il décrit comme merveilleux et terrifiant à la fois, est aussi un appel à la résilience de la communauté artistique du pays des cèdres qui a encore beaucoup de pain sur la planche, notamment pour faire émerger certains genres théâtraux encore trop peu exploités au Liban, tels que la comédie musicale. Pour déplacer cette montagne, Samer en est à sa deuxième pierre : cette fois-ci, neuf chansons réadaptées composeront la pièce Halaa, contre quatre pour Yamma Mia. Une belle initiative selon Josyane Boulos, cette passionnée de théâtre qui a peu à peu assis son rôle de consultante de production pour la pièce de l’auteur. De la réécriture de certaines scènes, au choix des personnages, en passant par la recherche de sponsors, Josyane a poli la scène du vernis de son âge. « Il est de notre devoir d'aider les jeunes à se lancer, nous qui comptons des années d’expériences. Ces gens-là ne sont pas des amateurs ou de simples passionnés, ce sont des gens qui ont choisi de faire du théâtre leur métier au quotidien, et ils ont besoin d’un coup de main pour continuer le combat que nous leur transmettons » profère-t-elle, la voix teintée de conviction. Pour continuer aussi de jouer la paix, de feindre la vie, jusqu’à ce que les lumières s’éteignent et que le rideau tombe.
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