Le Cèdre sous la neige

Aigles qui passez sur nos têtes,

Allez dire aux vents déchaînés

Que nous défions leurs tempêtes

Avec nos mâts enracinés.

Allons ! Leurs plus fougueux vertiges

Ne feront que bercer nos tiges

Et que siffler dans nos cheveux !

C’est en ces termes poétiques que Lamartine rend hommage aux cèdres du Liban, à leur résilience contre les bises glaciales, les morsures du froid et les pires tempêtes, à leur éternité. Les Himalayas ont l’Everest (8849 m), plus haut sommet du monde, le Liban abrite sur ses monts, des merveilles, de majestueux cèdres millénaires cités maintes fois dans les Saintes Écritures.

La première tempête s’est abattue sur le pays avec son lot de neige immaculée, poudreuse blanche à laquelle le Liban doit son nom, Leb nan, provenant de la racine sémitique (lbn) qui lui donne tant de singularité à quelques kilomètres à vol d'oiseau de la Méditerranée.

La saison hivernale est fraiche sur le littoral, glaciale sur les cimes où les températures avoisinent zéro degré. Les paillettes d’étoiles parsemées par monsieur le vent ont métamorphosé les paysages qui ont des aspects oniriques. Les couleurs disparaissent estompées par les flocons qui déploient leur ballet aérien et se posent sur les faîtes, les toits, les arbres, le sol. Rien n’échappe à ces cristaux du ciel. 

Dans la région des Cèdres à Bcharré, retranchée sur les sommets à 2000 m d’altitude, un silence blanc, apaisant, lénifiant, s’installe. Cette magie givrée, cristalline, orne les rameaux des géants. La neige possède ce secret de rendre au cœur en un souffle la joie naïve que les années lui ont impitoyablement arrachée, constate Antonine Maillet. Certes, ce coin de montagne parsemé de torrents, sources, cascades, chapelles et ermitages rupestres, villages à l’hospitalité légendaire, semble engourdi, enveloppé de sérénité, d’une rassurante quiétude.

Consacrés par Lamartine en tant que reliques des siècles et de la nature, vieux témoins des âges écoulés, s’ils pouvaient parler, les cèdres du Liban nous conteraient la convoitise des pharaons qui en firent usage pour bâtir leur barque missionnée pour les mener à l’éternité. Ils nous diraient que c’est avec du bois cedrus libani que les phéniciens transportèrent sur leur navires jusqu’en Égypte pharaonique de la IIe dynastie (fin du 6e millénaire avant notre ère) leur vin dont le nom sémitique (le karmou, vin) a été conservé dans la langue égyptienne. Ils nous rappelleraient le verset des Rois de l’Ancien testament consacrant la supériorité de ce conifère pluriséculaire, Il a parlé sur les arbres depuis le cèdre jusqu’à l’hysope qui sort de la muraille, du plus grand jusqu’au plus petit.

Ils révèleraient que Salomon résolut d’offrir une demeure digne de Dieu en y combinant le bois du cèdre du Liban et la pierre de taille, et que plus récemment au cours du deuxième siècle de notre ère, l’empereur Hadrien entreprit de protéger la forêt des cèdres. Des inscriptions furent gravées sur les rochers pour définir les réserves de l’empereur qui comprenaient quatre espèces : le cèdre, le sapin, le genévrier et le chêne. 

Saupoudrés d’un glaçage blanc, la cédraie de Bcharré est l’un des derniers vestiges de l’ancienne forêt de cèdres du Liban qui recouvrait l’étage végétal supérieur du Mont-Liban. Classée réserve forestière, inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1998, le site survit aujourd’hui au cœur d’un pays à l’agonie. 

La neige tombe, tombe, sur l’emblème du Liban. Imputrescible, incorruptible, puissant, immuable, Cedrus libani sous la neige et le ciel, est la mémoire du Liban devenu pour l’éternité le pays du Cèdre.