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Le petit astronaute de Jean-Paul Eid : « être différent, c’est normal »

12/10/2022|Gisèle Kayata Eid

Immense. C’est un ouvrage immense, un régal pour les amateurs de bande dessinée, mais qui a maturé pendant 15 ans, a exigé 3 ans de travail, a remporté un nombre considérable de prix. et surtout qui fait beaucoup de bien. 

Un livre qu’on ouvre et dans lequel nous assistons comme dans un film a une histoire dure, mais qui nous remplit d’une joie indicible. Écrit comme un roman, croqué en bande dessinée, monté comme un long métrage, Le petit astronaute nous séduit à plus d’un égard. Rencontre avec son auteur Jean-Paul Eid, dans le cadre du Festival international de la littérature (FIL) de Montréal.

 

C’est un homme heureux. Père d’un enfant tout aussi heureux et pourtant. Rien n’aurait pu laisser croire cela puisque son fils est atteint d’une paralysie cérébrale fruit, à sa naissance, d’un « accident ». Ce n’est qu’à l’âge de six mois que ses parents consultent et que le diagnostic tombe. Ils en sont atterrés. On le serait pour moins. Dans leur désarroi, Jean-Paul et la mère de l’enfant cherchent désespérément des cas comme le leur pour pouvoir avancer dans la vie alourdis par ce grave problème. Partout ce sont des conseils techniques, des adaptations matérielles, des adresses de centres spécialisés… C’est vraiment un malheur qui leur est tombé sur la tête.

 

Cependant, 21 ans plus tard, ce n’est pas ça qu’ils retiennent de leur long combat avec Tom. 

Jean-Paul, diplômé en dessins animés, illustrateur de métier, mais aussi bédéiste de renom, mijote dans sa tête ce constat étonnant mais bien réel : Tom a toujours été un enfant heureux. Et pour essayer de comprendre cela, il s’est appuyé sur une superbe métaphore qui, en fait, résume bien la vie du petit handicapé : Tom voit le monde comme un astronaute verrait la Terre d’ailleurs. Et pour mieux le dire, il emprunte la « voix » de sa fille qui « raconte » les premières années de Tom et qui même trouve une astuce pour lire dans les pensées de son petit frère et, par ce subterfuge, nous communiquer les pensées du petit handicapé… « Je sais bien que Tom ne parle pas, mais s’il parle pas c’est seulement parce que ses paroles sont incapables de sortir par sa bouche. Alors elles restent dans sa tête et quand je colle mon oreille à la sienne, je les entends. Je suis la seule à qui il a raconté son histoire ». La petite narratrice nous fait savoir, à travers 150 pages (ce qu’on appelle en bande dessinée un roman graphique), que Tom est un enfant comme les autres, qui a toujours été en chaise roulante, qui n’a jamais pu parler, qui s’exprime avec des pictogrammes et qui finalement est comme il est, depuis le début, comme on serait noir de peau et qu’on n’imagine jamais qu’un jour on pourrait ne plus l’être. 

Le petit astronaute est un merveilleux hymne à la vie qui outre son propos est un pur ravissement graphique. Le lecteur rentre dans cette histoire avec une ambiance acidulée, des couleurs douces et avec des croquis excessivement expressifs. Des cases en contre-plongées, de gros plans, d’autres rapprochées, voir même silencieuses, le trait de crayon de ce Libanais d’origine, installé au Québec depuis son jeune âge est ravissant. Celui d’un pro, mais pétri d’une sensibilité qui touche le lecteur. Comme avec une caméra omnisciente, invisible, mais bien présente. Il nous décrit les décors, les points de vue de Tom (qui regarde à travers son hublot), du lecteur qui suit l’histoire, de la petite sœur qui se rappelle… Nous rentrons dans la vie de Tom subrepticement pour « voir » le désespoir des parents à l’annonce de la nouvelle, leur quête pour le « placer », l’intégrer à un système éducatif, leurs efforts, leurs satisfactions de voir évoluer leur enfant… Comme pour arriver à cette conclusion magnifique que Tom finalement, plutôt que de leur avoir ôté quelque chose dans la vie, a, au contraire, apporté un plus à leur quotidien. 

C’est probablement ce que beaucoup de parents de jeunes atteints de handicap racontent, mais Jean-Paul Eid en témoigne avec un talent hors pair (les planches sur Montréal vue d’en haut sont sidérantes) et une imagination débordante pour capter et retenir les amateurs de bandes dessinées. Il démontre une expertise certifiée pour mettre son talent au service d’une belle histoire qu’on ne trouve pratiquement nulle part, basée sur une expérience vécue mais aussi sur un travail de recherche (repérage photos dans les centres de réadaptation, témoignages de travailleuses en garderie, problèmes matériels de cette communauté qui vit dans des réseaux parallèles, qui n’utilise pas les mêmes moyens de transport, etc.)

Un ouvrage pétri d’amour, de talent, d’espoir, de poésie et qui porte un message : « Tom pourrait être notre voisin. Il est différent. Mais c’est normal. La différence est normale ». Un message d’inclusion au sens large qui dépasse le handicap et qui, au final, touche tout le monde. 

Et ça marche. Le livre fait réfléchir. Salué par la critique qui le trouve lumineux, « Le petit astronaute », porté par un crayon chevronné ravit autant le cœur que l’esprit.

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