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LE VIRTUEL, UNE SOCIÉTÉ-ÉCRANS (II/III)

28/06/2021|Dounia Mansour Abdelnour

Du téléphone fixe au smartphone, les baby-boomers devenus papy-boomers 

  

Durant les décennies 70 et 80, le réseau public battait le record de médiocrité. Quand la ligne téléphonique ne se coupait pas, c’était la friture sur la ligne qui rendait les appels inintelligibles. Naata3 el khat, la ligne s’est coupée, était devenue une antienne nationale. Le citoyen lambda se prenait à rêver d’un réseau téléphonique fiable et moderne. Il aurait vendu son âme au diable pour finir de la crise de nerf perpétuelle imposée par le dysfonctionnement du réseau public.

 

C’est alors que le réseau du portable fit son apparition en 1993 et que les cellulaires (appellation locale) commencèrent à pointer le bout de leur mini antenne au Liban dans un contexte on ne peut plus favorable. C’était la technologie indispensable qui nous sortirait de deux décennies de frustration en dépit d’un coût exorbitant de $500 la ligne, au départ.  

 

Pour les baby-boomers devenus papy-boomers, apprendre à utiliser la première génération de portables faits pour passer des appels et envoyer épisodiquement SMS et courriels, ne fut pas difficile. Ils se firent plus ou moins vite à leur usage.

 

L’arrivée des smartphones ou terminaux de poches dans la dernière décennie du XXe siècle, bouleverse l’humanoïde et tous les aspects de sa vie. Consulter ses comptes bancaires, faire du shopping en ligne, regarder un film, recevoir les dernières nouvelles en temps réel, s’orienter via GPS dans des lieux inconnus et distants, etc., les champs du possible deviennent pratiquement infinis grâce aux smartphones. Alors que les jeunes générations s'y habituent aussi aisément qu'allègrement, un grand nombre de personnes âgées ou très âgées est dépassé par l’usage du numérique.

 

Les seniors familiers des usages routiniers de l’ordinateur dans leur vie professionnelle se sont vite adaptés aux écrans, en revanche, pour ceux de nos ainés qui n’étaient pas formatés pour l’informatique, glisser le doigt au lieu de presser un bouton, manier les applications avec doigté, clavarder et tapoter sur les écrans avec dextérité, s’avère compliqué. Selon Fadi Mezher, octogénaire, c’est un monde qui nous est inconnu,nous manquons de patience pour l’apprendre. Résignés, certains dépendent parfois de leurs jeunes proches, petits-fils, neveux, nièces… ou limitent son usage aux appels téléphoniques. Ce n’est pas chose aisée pour des personnes nées dans les années trente ou quarante, et qui avaient vécu un temps dans une région où machine à laver, réfrigérateur et télévision n’existaient pas, de s’accommoder d’une technologie virtuelle quasi infinie.

 

Il y a ceux qui ne comprennent pas l’utilité du numérique, d’autres qui ne le maitrisent pas, je n’ai pas eu la chance d’apprendre l’utilisation d’un smartphone et aujourd’hui, la perte de vision, la mémoire qui flanche n’aident pas, témoigne Hayat Turley, 82 ans.

 

Je préfère de loin, poursuit-elle, les visites de mes voisins et la sonnette de la porte d’entrée à la sonnerie du téléphone. Les nouvelles technologies et les visioconférences, tout en maintenant les contacts virtuels avec nous, limitent en revanche nos rencontres avec les autres. Rencontre, un mot qui semble se raréfier, manque d’humain et d’être en chair et en os.

 

À l’ère de la société-écrans (téléphones, tablettes, ordinateurs, consoles), pour nous, aujourd’hui, l’écran, fenêtre sur le monde, surface de projection, vient dépasser sa signification première, escran, surface de protection, sorte de meuble dont on se servait l’hiver, il y a trois siècles, pour se parer de la chaleur du feu, faire-écran, écran solaire, etc. 

 

Les réseaux sociaux ? Lubna-Rose Saadé, qui vient de fêter son soixante dixième anniversaire, a une relation mitigée envers cet entrelacement de liens nous permettant de communiquer en temps réel avec des personnes qui se trouvent à l’autre bout du monde, mais qui peuvent aussi semer la discorde, et donc avoir une influence néfaste. Lorsque des amis publient sur Facebook des avis que je nepartage pas, je fais l’autruche pour éviter les tensions. Je préfère le réel, le rosé social, entre autres, source de vraies rencontres et de plaisanteries, entre quatre yeux.

Du téléphone fixe au portable jusqu’au smartphone, la génération de la moitié du XXe siècle évolue dans un champ de bouleversement considérable. Dans un avenir proche, les témoins des temps antérieurs au virtuel auront disparu. Les enfants d’aujourd’hui et de demain ne découvrirons la période ante numérique que dans les films et les livres, virtuels probablement. 

L’être humain devenu connecté, devra choisir le monde dans lequel il sera connecté. La connexion de toute chose partout et tout le temps, (everything, everywhere, everytime) semblerait l’emporter. Le puissant lobby du transhumanisme soutenu par les GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon) ont leur mot-clé, les NBIC (Nanotechnologies, Biologie, Informatique, Cognition) qui, dans le cadre de l’aide à la personne âgée, se proposent d’intégrer ces technologies avancées aux fonctions humaines afin d’optimiser le fonctionnement de l’individu et de compenser ses éventuels déclins.

Contrairement aux seniors d’aujourd’hui incapables pour maintes raisons de santé déclinante d’utiliser les outils virtuels, les centenaires du futur acquerront l’autonomie par la commande directe du cerveau, assisté par des électrodes externes ou internes qui éviteraient la nécessite de passer par un clavier ou un système de reconnaissance des gestes, pour communiquer avec des systèmes informatisés. 

Les ainés feront un grand pas vers l’autonomie, les adultes plus jeunes acquerront-ils la sagesse si essentielle à l’évolution humaine ? 

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