Entrer dans l’immeuble Abella de la rue Kiwan à Badaro, c’est un peu comme entrer dans la tête de Pascale Feghali. La maison familiale, que l’artiste quittera définitivement dans une dizaine de jours, est devenue pour l’heure le théâtre où se joue en miniature toute sa vie. Le grenier a été vidé, les archives ouvertes, et leur miel, extrait par Riwa Phillips et toute une fine équipe de jeunes artistes libanais, a été habilement mis en scène. Des images, des films, des textes qui représentent le parcours de la cinéaste-anthropologue, sont ainsi étalés, projetés et déroulés sur le sol ou le plafond du logis.
Chaque paroi devient alors une sensation et chaque pièce convoque les souvenirs d’une vie riche de pérégrinations et de rencontres. On est tantôt plongé dans le Beyrouth des années 90, où le trauma de la guerre laisse place à une effervescence artistique inouïe, illustrée par le festival Ayloul. Puis, de Nouakchott à Athènes en passant par la Guinée, on découvre des pêcheurs à la peau cuivrée, des timides couturières grecques, des acrobates de génie... Et tout ce beau monde se lie, se mélange, se suit, dans la maison, entre les meubles et les murs, sur les tapisseries ou sous les lustres.
On suspend son écoute, on arrête ses pas devant les vidéos diffusées en boucle. À d’autres moments, le texte vient prendre le relai de l’image. Lui aussi sème ses couleurs, ses odeurs, ses vides, des regards impalpables, hors champs, ne pouvant être capturés par la caméra de l’artiste, car éphémères ou trop purs pour être rejoués.
La maison devient le dernier abri d’objets, des mémoires et des pensées d’une vie. Là où tout a commencé et où, visiblement, un cycle se termine. Les passants viennent donc se servir, se nourrir, des souvenirs amassés, pour les faire vivre à leur tour chez eux.
Des discussions et conférences sont également prévues les soirs dès 19h, réunissant des artistes talentueux, anciens d'Ayloul et de plus jeunes ainsi que les universitaires (M. Borgmann, C. Khattar, M. Soueid, A. Atassi, A.Saadé, N. Touma). La cinéaste elle-même sera présente et accessible pour vous conter de nouveau les temps forts du festival Ayloul, en écho aux vidéos et photos de l’intérieur. Ce festival qui a permis, quelques jours durant, pendant quatre années, d’essaimer dans Beyrouth des espaces de rencontre entre un monde de l’art, tantôt traditionnel ou avant-gardiste, et des Libanais issus de tous les horizons socio-culturels du pays. Un espace investi pour et par l’art, où les hommes se retrouvent, discutent et s’ébahissent ensemble. Un espace de découvertes et d’explorations, dont on ressent, à l’heure actuelle, de nouveau le besoin.
Intime et généreuse, elle a le don précieux de mettre à l’aise, cette maison Feghali. Alors venez à votre tour réaliser ce périple, dans le chez-soi de l’élève de Jean Rouch, qui a connu de grands noms du XXème siècle, comme Théo Angelopoulos ou Abbas Kiarostami, et qui a parcouru quelques belles cités de notre monde.
À votre tour ensuite, de dénicher dans les archives, dans vos greniers, le miel de la vie, et d’y boire le vin doux et ancien qui en est le fruit.
L’exposition se poursuivra jusqu’au 13 juin.
Pour plus de détails, cliquez ici.
Crédit photo @Sarah Rose Antoun
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