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Tisser les années par des couleurs et des pensées

15/03/2023|Noame Toumiat

“Ce sont des échantillons de vie”. L’artiste Leila Jabre Jureidini use de ces mots afin de caractériser ses travaux évoluant au fil de ses questionnements. Une essence réflexive demeure et se décline à travers divers médias artistiques. Qu’il s’agisse de la femme et de son rapport au voile présenté dans une précédente exposition, aux tissages accrochés pour son exposition actuelle "Filiation : A Legacy Revisited", le jeu des supports favorise la transmission et appuie l’authenticité de sa démarche. Les tissages de l’artiste enveloppent par leurs couleurs criantes les murs d’un blanc immaculé de la Galerie Janine Rubeiz situé à Raouché jusqu’au 5 avril. 

 

À l’occasion des 80 ans de son père, Leila a visité l’atelier de tissage de son grand-père. Elle ne gardait comme souvenir que le bruit assourdissant des machines qui l’effrayait lorsqu’elle était petite. À l’issue de cette visite familiale, elle a eu l’idée de travailler le tissage. Ce projet se compose de plusieurs étapes ; elle a débuté par photographier l’usine puis s’est mise à peindre. Si la peinture soutenait le réel par la représentation picturale d’une photographie, ses peintures furent de plus en plus abstraites composées de formes géométriques. À travers ce processus, son héritage et ses réflexions se clarifient, s’épurent de possibles fioritures, elle ne garde que le nécessaire. Un chemin se tisse vers autrui, elle transmet son travail, mais attend de son interlocuteur qu’il fasse de même en modelant à sa guise des réflexions exposées, catalysées à travers l’exposition. 

 

Le processus artistique de Leila est imprégné d’événements, accompagnant ses pensées à l’instar du confinement durant l’épidémie du coronavirus. Cette période lui a donné un espace et un temps essentiel pour concevoir. Ce temps long se compose aussi d’éléments culminants tel que l’explosion du 4 août impactant son atelier situé à Karantina, déchirant une de ses créations qu’elle a choisi de laisser tel quel. Les tissages sont imprégnés de son histoire, mais présentent une certaine universalité par la passion et l’amour qui transparaissent. Cette authenticité ne peut laisser indemne, une chaleur et une lumière inondent l’exposition.

 

À l’image de ses travaux, Leila Jabre Jureidini épouse la diversité. De France aux États-Unis, du design à un intérêt poussé pour la sociologie et l’anthropologie, voici un parcours riche qui ne peut que l’influencer. Ces penchants résultent d’une curiosité presque enfantine par sa spontanéité et sa sincérité : elle aime connaître “la raison des choses”. Cela se perçoit dans l’usage de la vidéo, de la peinture, de la photographie qui permettent d’explorer et de saisir par différents angles l’ensemble de ces questionnements. Pour autant, le tissage a une résonnance différente, se lassant usuellement des divers supports artistiques, elle souhaite toutefois continuer dans cette voie. 

 

Un aphorisme de Gibran Khalil Gibran choisi par Leila ne peut mieux embrasser la nature de cette exposition : "Qu'est-ce que travailler avec amour ? C'est tisser l'étoffe avec des fils tirés de votre cœur, comme si votre bien-aimé(e) portait cette étoffe." 

 

 

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