J’avais été sidérée par « Au revoir Là-haut ». Tout comme le million d’autres lecteurs qui ont dévoré les 620 pages du prix Goncourt de 2013. Couronné par huit autres prix, les médias lui avaient réservé un accueil exceptionnel. Le roman qui nous avait introduit dans le vif de la première guerre mondiale était bourré de rebondissements, haletant à souhait, adapté en bande dessinée (2015) puis en film (2017).
C’est aux « Années glorieuses » que nous invite Lemaître dans une trilogie dont le premier tome (mars 2022) a été suivi aussitôt par un deuxième, sorti le 10 janvier 2023. Il était normal que je m’y intéresse, d’autant plus que l’histoire se déroule en partie dans le Beyrouth des années 50.
Dans ce dernier opus, on retrouve rapidement le style de ce conteur imbattable qui a le tour pour enchaîner les évènements embrouillés comme dans une pelote de laine dont on ne croirait pas qu’on trouvera le bout, qui se déroule pourtant calmement. Lemaître n’a pas volé son nom pour démêler l’écheveau qu’il a monté... sur des centaines de pages.
« Après le grand monde » qui totalise 622 pages, « Le silence et la colère » est tout aussi volumineux avec ses 610 pages d’imbroglios et de situations que l’auteur secoue avec jubilation, comme dans une boîte de Pandore purement romanesque. Ses personnages évoluent d’un pays à l’autre (Beyrouth, Paris, Saïgon) actionnés par un marionnettiste qui s’amuse à nous accrocher de plus en plus à sa fiction... bougrement documentée.
Grâce à son talent de conteur et aux recherches qu’il effectue pour planter son décor, nous rentrons de plein pied dans les ambiances des années 50. En historien des mœurs et coutumes, il dépeint une fresque vivante de la France à cette époque, celle qui découvrait les grandes surfaces, la consommation, ou qui s’acharnait contre l’avortement. Caressant au passage le droit des femmes, caricaturant les ménagères plénipotentiaires, décrivant l’effarement des villages déplacés pour les besoins de l’expansion économique, c’est avec cet égal talent qu’il observe la mentalité libanaise pour introduire les attitudes patriarcales, le goût des réunions familiales, l’engouement pour la boxe, etc.
Maître du suspense et de l’arnaque romancée, fin observateur des sociétés, incomparable à introduire de nouveaux personnages qui pimentent ses descriptions quelque fois longues mais dans lesquelles on trouve parfois des trouvailles intéressantes : “Ce sont des nostalgiques... Ils sont déchirés entre leurs convictions et leurs désirs, ils ont bien leur place à l’église…”, Lemaître a tout pour plaire à ceux qui veulent s’évader de leur quotidien... Faut-il avoir encore le souffle pour continuer à s’y perdre... à défaut de lorgner la dernière page.
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