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Les grands-mères de Louise : Serpoug Fermanian

17/04/2022|Louise Laperrousaz

La première s’appelle Serpoug, dites Nani pour les intimes. Grand-mère de ma meilleure amie Melissa, elle vous accueille dans son coquet petit appartement à Zalka. Une douce odeur de pastrami, et de beurre fondu me fait saliver. J’arrive dans sa petite cuisine, toujours reluisante de propreté. Mar Charbel trône sur le micro-onde. A côté du Saint patron du Liban, une photo de la cathédrale d’Etchimiazdin. 

 

Nani ne lit pas l’arabe. Deuxième génération de Lipanhay, la diaspora arménienne libanaise, ses parents ont fui le génocide. 

 

La sonnerie de la porte d’entrée retentit plusieurs fois par jour, au gré des visites de ses enfants ou petits-enfants. 

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Frigo toujours blindé de Tupperwares prêts à être dégainés si les visiteurs ont faim. Dedans, on y trouve des petites coupelles de riz au lait par douzaines. Le frigo est couvert de photos de ses petits-enfants, 8 en tout. 

Du haut de ses un mètre cinquante, Nani est le pilier de la famille. Veuve depuis ses 30 ans, cela fait donc 50 ans qu’elle élève des générations d’enfants, seule. Jamais remariée depuis le décès de son grand amour et feu son mari, Vartivar. Il est présent sur les traits de tous ses petits-enfants, mais c’est sur mon amie Melissa que c’est le plus flagrant. Même sourcils broussailleux, même regard franc aux yeux clairs, grosse moustache en moins. 

Lorsque vous arrivez chez elle, direction la pièce où elle passe le plus de temps : la cuisine.

 


Après une généreuse portion de vospov kefta (des boulettes aux lentilles), et de itch, (salade de boulghour), Nani vous prépare un café à la cardamome, pour accompagner le fameux riz b halib. D’un œil pétillant et plein de malice, elle demande à voir l’intérieur de votre tasse, une fois votre café avalé. 

 

Elle vous dit alors ce qu’elle y voit. Tous ceux dont Nani a lu dans le marc de café pourront témoigner, elle vise toujours juste. A savoir si Nani a des dons de voyance ou si elle aurait tout simplement, fait une très bonne psychologue. 

 

Une fois le ventre rempli, vous vous installez sur le canapé de la salle à manger, où on ne mange jamais. Cette pièce est uniquement réservée pour les jours de fêtes ou « si on reçoit le pape ! ». Sinon, on mange dans la cuisine. 

 

 

Une fois confortablement assis, vient l’heure des albums photos. Ceux-ci sont classés par thème : bébés dodus nus en train de jouer, anniversaires aux gâteaux tous plus impressionnants les uns que les autres, albums retraçant la vie de chacun de ses trois enfants et petits-enfants...Les photos sont classées méthodiquement. 

 

Ma section préférée est celle du jeune couple Serpoug et Vartivar. Nani est très reconnaissable : pommettes hautes, bouche dessinée et brushing impeccable, elle n’est pas peu fière aux bras de son époux, bien portant, toujours avec ses yeux verts perçants. On croirait un couple d’acteurs. Vartivar était joailler, une tradition de père en fils chez les arméniens de Constantinople, le père de Nani était un soldat. Tous deux enfants de survivants du génocide arménien, la culture et l’identité sont au centre de l’éducation. 

 

D’ailleurs, dans un coffre fermé à double tour, se trouve une grosse clé en fer forgé, celle de la maison que les arrières grands parents de mon amie Melissa ont dû quitter. 

Une fois les albums photos épluchés, Nani me fait signe de la suivre dans sa chambre. Là, elle déballe les robes de ses filles quand elles avaient mon âge. Nani adore jouer à la poupée avec moi. Elle me fait essayer des habits pendant des heures. Ses petites filles ne se prêtant pas au jeu de l’essayage, elle est ravie d’avoir trouvé une volontaire. Sourire en coin, quand elle trouve que les robes que j’essaye me vont bien, elle me mime ses petits-fils en train de tomber à la renverse. 

 

Le dimanche se termine donc en beauté, avec Nani me donnant des conseils sur la vie. Les études, c’est important. Elle a encouragé sa petite fille Melissa à poursuivre ses études de journalisme, et est très impressionnée par mes études de Sciences Politiques. Féministe sans le savoir, Nani est toujours heureuse d’apprendre que les jeunes filles font des études. 

 

Elle ne peut s’empêcher de me parler du mariage, en me glissant subtilement, deux trois mots sur ses petits-fils, eux aussi en âge pour l’union devant Dieu. 

 

C’est donc repue, avec un gros sac d’habits des années 80 et des histoires plein la tête que je repars de chez Nani, en attendant le prochain dimanche.

 

 

 

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