Aujourd’hui, nous retournons dans la Békaa, sur les terres de la famille de mon amie Haya. Après plusieurs heures de voiture, nous sommes accueillies par Mariam Beyruti, la grand-mère de Haya.
Je pensais arriver dans une ferme mais je me retrouve dans une imposante villa, bordée d’un jardin à perte de vue aux haies taillées parfaitement. Une grande piscine trône au milieu.
Mariam vient m’accueillir, j’entends le cliquetis de ses talons. Je fais face à une belle femme au visage souriant et lumineux, entouré par un léger voile en soie couleur crème, qui lui donne un air angélique. Elle porte un petit cardigan en coton de la même couleur avec un pardessus en laine marron foncé.
Après sa prière du maghrib, Mariam m’invite à m’assoir sur la grande table du jardin et on vient nous servir un narghilé goût na3na3e, qu’elle sirote tout en me parlant. Là, elle me raconte.
Née en 1937 à Bar Elias dans une famille sunnite, elle n’avait jamais quitté la Békaa avant son mariage. Ainée d’une famille de huit enfants, Mariam s’est battue pour leurs droits dès son plus jeune âge. Parents paysans au train de vie de modeste, ils cultivaient une terre leur appartenant depuis des générations et qui permettait de nourrir les enfants. Ils tiraient également de maigres profits de leurs récoltes, jusqu’au jour où un promoteur influent de la région les chassa de la terre de leurs ancêtres.
Pauvres et analphabètes, les Beyruti se retrouvèrent sans le sou, et impuissants face à cette injustice. Mariam avait alors treize ans, l’âge de travailler, mais ses parents mirent un point d’honneur à l’envoyer à l’école. Elle faisait partie des premières filles du village, au sein de la communauté sunnite. “Vous devriez avoir honte d’envoyer votre fille à l’école” “Personne ne voudra l’épouser” disaient les gens. Malgré les reproches et le qu’en-dira-t-on, son père accompagnait la petite Mariam à l’école tous les matins, dans son uniforme soigneusement repassé et sous les regards accusateurs du voisinage.
Après l’école, elle aidait sa mère à la couture. Repriser les habits des gens pour quelques livres en plus n’était pas négligeable pour cette famille nombreuse. Elle, mettait chaque livre qu’elle touchait de côté dans l’espoir d’un jour pouvoir offrir un bout de terre, même petit, à ses parents.
Les années passent et Mariam, véritable mère enfant, élève ses frères et sœurs, les poussant à aller à l’école du village. A ses seize ans, les regards des hommes commencent à changer. Fini la petite fille qui avait de la boue sous les ongles, Mariam est devenue une femme, une très belle femme.
Elle porte ses cheveux noirs bouclés en carré, et se balade dans Bar Elias en robe fleurie. Son petit grain de beauté sur la lèvre du haut lui donne des allures de pin-up hollywoodiennes. Elle se fait aussi remarquer par son franc parlé.
Prédestinée à être une femme au foyer, Mariam ne s’est pas vue offrir le choix de travailler. A ses vingt ans, un riche saoudien la repère et demande aussitôt sa main. Mariam se voit déjà vivre une vie de princesse dans le royaume d’Arabie Saoudite, elle qui avait déjà tant enduré. Une fois le mariage fait, dans une petite mosquée du village de Mariam, les jeunes mariés s’envolent pour Riyad. La lune de miel terminée, elle découvrit sa nouvelle maison, en plein cœur de la capitale saoudienne, mais une très mauvaise surprise l’attend. Son mari a une deuxième femme, et même un fils. Mariam essaie par tous les moyens de divorcer, alors qu’elle attend un enfant, en vain.
Elle finit par se résigner et se lance dans l’immobilier. Entre le Liban et l’Arabie Saoudite, Mariam achète des terrains. Un jour, elle réunit ses forces et retourne dans le petit village de Bar Eliass, pour confronter l’homme qui jadis avait volé les terres de sa famille. Par des démarches juridiques, son courage et sa ténacité, Mariam a pu rendre une grande partie des terres volées à ses parents avant qu’ils ne meurent. Mère de trois garçons et une fille, Mariam a mis un point d’honneur à élever ses enfants dans la parité et l’égalité homme/femme.
Propriétaire de plusieurs terrains un peu partout dans le Liban, c’est dans la Békaa que Mariam, maintenant grand-mère d’une quinzaine de petits enfants, a décidé de retourner vivre. Ses enfants sont toujours en Arabie Saoudite mais ses petits-enfants viennent la voir régulièrement.
Face à mon air admiratif, Mariam rit : “ Je suis une femme, toi aussi et les femmes sont fortes, plus fortes que les hommes. Le seul conseil que j’ai à te donner, comme je dis à mes petites-filles, c’est que vous ne devez avoir peur de rien. Surtout, battez-vous pour vos droits, ne lâchez rien et croyez en vous, personne ne le fera à votre place”. Elle me dit aussi ne faire de courbettes à personne.
Elle me donne rendez-vous quand je veux, pour une autre session narghuilé/conseils en Arabie Saoudite ou quelque part au Liban.
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