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« Les habitantes ». Être une femme seule au Liban

01/12/2022|Madeleine Duhamel

Marine Caleb, journaliste indépendante basée à Tripoli, écrit des articles majoritairement sur les enjeux liés à la migration et aux femmes.
Quand Tiphaine Malfettes lui a proposé de travailler sur la table ronde de l’exposition « Mon Histoire », ce projet lui a tout de suite plu. « C’est extrêmement important qu’on organise ce genre d’événement au Liban » dit-elle. 

Tiphaine Malfettes, documentariste sonore française installée au Liban-Nord, réalise une série documentaire de podcasts consacrée aux femmes « Les habitantes » qui devrait être officiellement lancée avant janvier 2023.
Tiphaine est l’initiatrice de la table ronde organisée par le Comité Francophone de la Municipalité de Zgharta et l’Institut français de Tripoli. Par son intérêt pour le droit et la condition des femmes au Liban, l’Institut français de Jounieh lui a proposé́ de réaliser des événements lors de l’exposition. 

 

Pourquoi parler de la place des femmes et surtout des femmes seules aujourd’hui au Liban ? 

 

TIPHAINE : Ce sujet a émergé dans le cadre de mes propres recherches pour ma série documentaire. J’ai réalisé un épisode de podcast avec une femme célibataire. Je n’avais pas pensé parler de la question des femmes seules de manière générale mais plutôt de ce que cela engendre d’être une femme non mariée en matière de pouvoir économique. Mais il s’avère qu’il y avait déjà énormément de choses à dire sur le statut de la femme célibataire dans la société libanaise par rapport à la loi, au regard de la société... Ces femmes ne semblent pas pleinement se réaliser par le non-accès au statut de la femme mariée. Cependant la pression du mariage est quasiment aussi forte sur les hommes, mais s’exprime un peu différemment. Je suis partie de cette problématique et de là un fil s’est déroulé. Celui des obstacles et des contraintes que les femmes célibataires doivent surmonter pour pouvoir être respectées. Mais il y a aussi les femmes divorcées, les mères célibataires (enfants hors mariage), les veuves... Ces femmes qui n’ont pas d’homme dans leur vie de point de vue marital, doivent se battre davantage pour pouvoir être reconnues en tant que citoyennes. C’est ça qui m’a donné l’idée de travailler sur cette notion de femme seule. 

 

MARINE : En tant que journaliste, c’est un enjeu parmi tant d’autres dont il faut parler concernant les femmes, au Liban comme dans d’autres pays. C’est important de le préciser car le patriarcat, dans un sens, est partout. Ce n’est pas parce que l’événement se produit au Liban que cela est plus important. Dans ce pays, le statut de la femme seule n’est pas un sujet discuté. Dans mon métier, j’aime parler des enjeux dont on parle peu, de les décortiquer et de les mettre en lumière. Je veux faire comprendre aux gens qu’être une femme seule est possible et qu’il y a tout un tas de manières d’être une femme seule. Selon moi c’est un enjeu très spécifique, très précis. Cette table ronde est une manière d’ouvrir et de compléter le travail de Tiphaine et le mien. 

 

Pensez-vous que les femmes libanaises sont également dans la revendication, comme les protestations qui mouvementent les pays voisins ? 

 

TIPHAINE : Aujourd’hui, je pense que la crise économique rend difficile la protestation visible. Il y a beaucoup de choses qui de fait, notamment à Tripoli où nous sommes, se sont arrêtées. Au moment de la révolution de 2019, la présence ultra-massive des femmes dans la rue avec un certain nombre de slogans et de revendications bien particulières liées à leur condition, montre une certaine revendication. Elles ont saisi cette opportunité pour s’exprimer. Je pense qu’il y a une protestation latente mais qui ne s’exprime plus dans la rue aujourd’hui. Néanmoins, un nombre incalculable d’ONG, d’associations féministes, d’activistes essaient de défendre le droit des femmes au quotidien. Il y avait, lors de la table ronde, une travailleuse sociale qui représentait une ONG importante au niveau national et qui fait un travail local à Tripoli dans un quartier pauvre. Il y a de l’action mais qui prend différents visages en fonction de la situation du pays et des classes sociales. Lors de la révolution, il y a également des femmes issues de la classe populaire qui ont manifesté, qui se sont éveillées à leur propre conscience, à la conscience féministe grâce à la révolution. En revanche, le travail de fond se trouve plutôt dans les classes moyennes ou bourgeoises. 

Ces femmes revendiquent des choses bien précises comme le droit de pouvoir transmettre leur nationalité, l’abolition de la diversité des lois religieuses pour des lois unifiées pour les affaires familiales. Selon sa religion, la femme va avoir un accès différent au mariage, au divorce, avec une très forte discrimination dans chacune des confessions entre homme et femme mais aussi entre femmes elles-mêmes. 

 

MARINE : La crise joue énormément. Il y a quand même des choses qui se font mais qui sont toujours portées par des femmes à Beyrouth, qui ont plus de pouvoir économique, des ONG, des groupes. Mais à Tripoli, les femmes que je connais sont soit parties pour avoir une vie décente, ou comptent partir du Liban ou à la capitale. La crise joue sur la fatigue, l’abandon, le découragement. 

Il y a une chose qui m’a vraiment marquée pendant cette table ronde : Bouchra Doueihi, complétée par Chaden, a mentionné qu’être une femme seule sur la scène publique est difficile sans soutien. On va constamment lui demander le métier de ses parents ou de son mari pour expliquer qu’elle est moins légitime si elle n’a pas d’hommes autour d’elle. C’est un homme qui va la crédibiliser en tant que femme. 

 

Pouvez-vous m’en dire un peu plus sur la table ronde ? Comment s’est-elle passée ? Quels ont été les sujets abordés ? 

 

MARINE : Dans un premier temps, quatre intervenantes d’horizons différents, à savoir Seurelle Boulos, Bouchra Doueihi, Chaden El Daif et Marwa Khalil, ont échangé autour des problématiques suivantes : qu’est-ce qu’être une femme seule dans la sphère familiale ? Et dans la sphère publique ? La condition de femme seule entrepreneure, en politique, dans la vie artistique ou encore au sein d’une ONG a été abordée au cours des discussions. Enfin des solutions aux problèmes soulevés ont été proposées.  

Nous avons également discuté des côtés législatif et économique, ce dernier étant central. Le constat que la femme revienne vers son mari, même après des violences conjugales et/ou par manque de travail a suscité de vives réactions auprès du public de la table ronde.

 

TIPHAINE : Le plus intéressant a été de constater les divergences de points de vue et la manière dont chacune des intervenantes s’emparait du sujet selon son statut. D’autant plus que celles-ci pouvaient faire remonter du terrain des expériences concrètes de femmes qui ne sont pas des visibles ou audibles habituellement.

Ce sont des femmes issues de classe aisée et ayant reçu une éducation qui les a sensibilisées à ces considérations et aux luttes féministes. Dans notre travail ce qui est important est de faire entendre ces voix. 

LE PODCAST « LES HABITANTES »

 

Vendredi 2 décembre se déroule une sieste sonore : « Pourquoi tu ne t’es pas mariée ? – Je cherchais l’amour... ». Cet épisode, issu du podcast « Les Habitantes », retrace le récit pétillant de vie et d’humour de Mirna, une femme libanaise de 55 ans, habitante de Tripoli, restée célibataire et fière de l’être ! La diffusion sera suivie d’une discussion avec la réalisatrice, Tiphaine Malfettes. 

 

Qu’est-ce qu’une sieste sonore ?

TIPHAINE : C’est un concept à la mode en ce moment dans la sphère des podcasts. C’est un événement qui est organisé pour faire écouter collectivement un podcast de manière confortable pour les participants, l’idée de sieste permettra aux participants de s’allonger et de se détendre.

 

Pourquoi avoir choisi ce format et non un autre ?

TIPHAINE : Par passion personnelle. Je suis une grande auditrice de radio et notamment de documentaire radiophonique. En arrivant au Liban, j’ai eu envie de parler de ma réalité de femme étrangère qui arrive dans un pays. C’est le moyen qui m’est venu en tête immédiatement.

Je ne parle pas de moi dans la série mais j’apparais à travers mon regard et mon propre militantisme féministe. Je ne suis pas le personnage central mais chaque épisode présente une femme, habitante du Liban, comme personnage central.

 

Qu’aviez-vous envie de mettre en lumière par la production de cette série documentaire « Les Habitantes » et plus particulièrement par la sieste sonore qui aura lieu vendredi ?

TIPHAINE : Ce qui me semble important dans mon travail, comme celui de Marine, est de faire entendre ses voix de femmes. Mes témoins prioritaires sont des femmes qu’on n’entend pas, anonymes, de milieux sociaux défavorisés.

Cet épisode m’a donné l’idée de la table ronde. Celui-ci, concernant une femme célibataire et la conversation que j’ai eu avec elle m’a conforté dans l’idée qu’il y avait un vrai sujet : le statut marital et l’importance de celui-ci pour s’insérer dans la société libanaise. Il y a des ponts entre cet épisode et les autres, même si tous les épisodes ne sont pas autour de cette question, mais c’est un début. C’est une série qui s’intitule « Les Habitantes » car il me paraissait important de mettre en valeur les femmes qui habitent au Liban sans pour autant qu’elles ne soient libanaises. Mon idée est de parler de la diversité de profil, des droits, des conditions de vie selon leur nationalité, leur région géographique, leur classe sociale.

Faire partager des témoignages différents qui peut-être les uns à côté d’autres permettront de se rendre compte de cette diversité. C’est surtout cela qui m’avait frappé en arrivant au Liban il y a deux ans : le fait que les femmes puisse vivre des expériences bien différentes selon divers facteurs. 

 

(Photo : Philippe Pernot)

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