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Mon expérience sur les chemins de Compostelle

01/02/2022|Clémence Buchsenschutz

Départ

Un peu sur un coup de tête et sans trop de préparatifs, je suis montée le 21 juin 2022 dans le train en direction de Moissac, mes chaussures de randonnée aux pieds, et mon sac bien trop lourd sur le dos.

C’était acté, j’avais décidé d’y aller : cette année, pas de vacances relax entre amis à Barcelone ou sur la côte d’azur, mais une envie de changement, de challenge.

C’est donc, certes, un peu insouciante mais déterminée que je me suis lancée sur les traces de Saint Jacques de Compostelle.

 

Le premier matin fut rude : départ à 6h 

Je commence ma matinée par un rituel qui me suivra le mois et demi à venir. 

Réveil (difficile), petit-déjeuner (léger), soin des pieds (primordial), bourrage du sac à dos (à la vas-vite), sanglage du sac (millimétré), et c’est parti.

Partir tôt, c’est aussi la clef du confort : alléger un peu l’effort par la brise du matin, et voir doucement le soleil se lever sur les chemins escarpés.

Il s’avèrera que la fatigue accumulée des semaines suivantes rendra ce réveil de plus en plus difficile, de moins en moins tôt.

 

Mais tu n’as pas peur de te lancer seule là-dedans ?

Cette marche fut un paradoxe entre rencontres et solitude : sur le chemin, l’on n’est jamais seul mais au fond toujours un peu solitaire.

Nombreux sont les pèlerins avec qui j’ai partagé ce chemin : certains pour quelques jours, d’autres le temps d’un repas ou de quelques kilomètres. 

Et pourtant, chose très agréable : la règle d’or scrupuleusement respectée par tous était la suivante : si je veux marcher seule, c’est mon droit.

Il s’agissait d’équilibrer son temps entre moments seule et moments partagés : y trouver un juste équilibre pour pouvoir pleinement goûter autant chacun de ces deux moments.

 

Premier dépassement de soi : apprendre la solitude. Et mieux encore, en apprendre les bienfaits. Pas toujours facile, de passer des après-midis sous le soleil écrasant espagnol sans croiser un chat. On en devient fou, parfois, à chanter, parler ou danser seul !

L’on réfléchit, bien sûr, car la solitude pousse à la réflexion : aux soucis de la vie, aux peines que l’on veut surmonter ; on fait le point.

Et parfois, souvent, la plupart du temps, on se laisse guider, sans trop penser à rien. Et quelle légèreté ! Se laisser porter par le bruit de la nature, par le rythme régulier des chaussures qui claquent le sol, par les paysages tantôt magnifiques tantôt communs et agaçants.

Se laisser porter, sans savoir quelle sera la prochaine rencontre, sans savoir où dormir, en attendant le prochain paysage… la liberté, la vraie !

J’ai appris que se retrouver face à soi-même, ce n’est pas toujours de grands monologues intérieurs, mais parfois seulement être en paix avec son corps, avec le silence, avec le moment présent.

 

Deuxième dépassement de soi : la douleur.

Comment raconter cette aventure sans évoquer la douleur atroce qui quotidiennement venait me saluer ?

J’avais commis la terrible erreur de n’emporter avec moi que mes vieilles chaussures de randonnée, bien trop lourdes et bien trop rigides. 

Certains s’en sortent bien, niveau douleur : aucune ampoule, pas de problème musculaire : impeccable.

Ce ne fut pas mon cas, j’enchainais les ampoules jusqu’à l’arrivée, parfois cumulées d’une tendinite ou d’un genou fragile. Marcher autant de temps m’a fait prendre conscience du soin qu’il faut apporter au corps : le bichonner, le reposer, l’écouter pour pouvoir continuer.

Alors, chaque soir, chaque matin, l’étape incontournable : le soin des pieds. 

Percer les ampoules, les désinfecter, les panser. Mettre de la crème, les masser, les étirer. Marcher, toute la journée, puis répéter.

Et c’est un délicat équilibre qu’il faut trouver, entre son corps et son mental. L’un des deux lâche, et c’est foutu. On apprend à s’écouter, à prendre soin de soi-même avant tout, à trouver son rythme.

Ce fut mes moments les plus difficiles : ceux où, après enfin une journée sans douleur trop intense, je retrouvai les mêmes blessures qui revenaient, qui se reformaient.

Le moral baisse, l’espoir se dissipe. 

Jusqu’où marches-tu ? J’avais commencé le Camino en répondant : « Compostelle, Santiago ! », mais les douleurs des premières semaines m’ont fait déchanté et m’ont appris à répondre : « j’irai aussi loin que possible, aussi loin que me portent mes pieds ».

 

Pourquoi fais-tu ce chemin ?

Peu font ce chemin par amour de la randonnée.

Beaucoup le font par soif. Soif de reconstruction après un épisode douloureux, soif d'aventure, soif de voir jusqu'où leurs pieds endoloris et leur mental parfois cassé peuvent les conduire. 

J'ai rencontré nombre de grands blessés de la vie, de revenants de maladies, de rupture amoureuse, de licenciement, de deuil. 

Le chemin est un refuge pour celui qui est perdu. 

Ce n'est cependant pas un remède magique, qui offrira à chacun des réponses à ses questions, mais un cheminement qui plante en chacun des graines qui doucement grandiront, plus tard, dans leur quotidien.

L’une de mes rencontres, un marcheur italien, 80 ans, Mario m'avait dit ces mots qui aujourd'hui résonnent encore : "Le Camino, on le comprend que lorsque l'on est rentré chez soi, sur le canapé, une pipe à la main, plongé dans ses souvenirs".

Et je pèse chaque jour la véracité de ces propos ; ce n'est qu'aujourd'hui que je comprends lentement l'étendue de ce que ce périple m'a apporté.

 

Une métaphore de la vie ?

Le Camino, à sa petite échelle, peut être observé comme une métaphore de la vie. On y connait des montées, qui nous semblent interminables, qui nous demandent de nous arrêter et qui nous prennent une grande quantité d’énergie. 

Arrivée au bout de cette montée, il m’arrive de regarder en arrière : et je vois derrière moi tout ce que j’ai réussi à gravir. Ce chemin qui me semblait si long et si douloureux est maintenant derrière moi, et je peux maintenant prendre de la hauteur sur ces évènements.

Après chaque montée, aussi, se trouve une descente, un moment léger et rapide, qui nous en fait presque oublier que l’on a dû avant subir une montée.

Combien de fois pense-t-on abandonner, ne pas en être capable, pour ensuite réaliser que le plus dur est passé !

Et, comme dans la vie, et peut-être même plus qu’ailleurs, on y goûte le mystère de la rencontre, avec soi comme avec l’autre.

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