22 novembre, on médite dans le brouhaha à côté de la Mosquée, par terre. Il n’y a pas de bougies comme prévu, il y a peu de monde eu égard à la médiatisation de l’évènement sur les réseaux sociaux, ce n’est en rien romantique comme prévu ; mais bizarrement, on y parvient, on est là et ailleurs, tout à la fois. En dépit de lacohue qui nous entoure. Les haut- parleurs braillent, le DJ joue sa musique qui n’est pas Chopin. Et pourtant… il y a quelque chose, on se sent lié à ces gens autour de soi dans le silence, au milieu du bruit, qui ont fait le choix de venir méditer ensemble pour le pays et peut-être un peu pour soi. A cet instant même, je comprends pourquoi je suis rentrée au Liban après quatorze ans d’ailleurs, pourquoi j’ai tout laissé derrière moi pour rentrer. Je comprends dans mes tripes même si par moments, de plus en plus nombreux, je caresse la perspective d’un nouveau départ. Nécessaire arrachement. La clairvoyance est parfois une malédiction. J’ai appris la patience comme jamais ces dernières années dans mon pays, sauf que parfois mon impatience me manque. Quand il ne reste que quelques années productives, la patience est un luxe. S’ils forment un nouveau gouvernement comme ils ont géré la dette publique, bonjour. Je n’ai plus envie d’attendre… Jusqu’où la patience est-elle consentement au monde, amour ; quand devient-elle ridicule?
A ma grande surprise, en lisant la Panthère des Neiges de Sylvain Tesson, prix Renaudot, dans un chapitre intitulé Consentir au monde, je découvre Notre Dame de l’attente, une chapelle dédiée à la Vierge dans le Sud Liban. C’est ainsi que l’écrivain choisit de baptiser la grotte où il se refugia à l’affut de la panthère qu’il était venu chercher avec son ami photographe Munier, jusque dans le Tibet. Tesson a le luxe de guetter la panthère. Nous, guettons la formation d’un nouveau cabinet, l’ouverture ou la fermeture des banques, l’effondrement de l’économie, les mots du président, du secrétaire du Parti, de tel et tel autre ministre. La panthère attendue au Tibet me renvoie au souvenir d’une visite à un ministre libanais en résidence forcée au Sérail en 2007 - le Hezbollah prenait encore le pays en otage – que je venais interviewer et qui tout en me parlant de la nécessaire gestion du parc immobilier de l’Etat - pour l’optimisation de la gestion de la dette publique - me faisait part de son rêve de partir au Tibet quand il sortira du Sérail, quand il retrouvera la liberté et d’un hôtel qu’il avait déjà repéré au milieu du silence et de l’immensité. Enfermé au sérail, il rêvait du Tibet et non de l’exercice du pouvoir, politique. D’ailleurs, il le quitta. Lui aussi s’est lassé. C’était un technocrate. Là où il se trouve, il doit encore certainement essayer de faire quelque chose pour le Liban actuellement.
Peut-être devons-nous aller manifester maintenant devant Notre Dame de l’attente, pour écourter l’attente… mais même une amie religieuse en a eu marre d’attendre. Je la trouve Place des Martyrs avec deux autres jeunes consœurs alors que le matin même, elle me racontait qu’elles n’avaient pas le droit de manifester. Même les petites sœurs se sont rebellées discrètement et certains n’osent toujours pas s’affranchir de leurs anciennes loyautés et embrigadements. Une amie a quitté le Liban pour les Pays-Bas, il y a quelques mois précisément pour cela, pour s’affranchir. Je tombe sur son post sur Facebook : une toile qu’elle a réalisée pour exprimer toute sa frustration de ne pas être au pays pendant que cette révolution se déroule. Malgré le souhait d’en découdre ; pour elle, il aurait mieux valu être au pays pour vivre ce moment. Une révolution, on ne la vit qu’avec les gens de chez soi. Les choses les plus fortes se vivent avec ceux avec qui on a des connexions, des liens immémoriaux. C’est sans doute pour cela qu’un groupe de six cents personnes environ de la diaspora se sont donné, rassemblés par les vertus de Watsapp, rendez-vous le 22 novembre à l’aéroport pour se rendre Place des Martyrs… pour repartir quelques jours plus tard. Ils seront sensibles à la qualité de l’accueil qui leur est réservé ; celui-ci même qui me retient dans ce pays, cette capacité d’accueil magnifique des gens du quotidien qui vous enveloppe. Sera-t-elle transformé quand la crise économique battra son plein et que tout un chacun sera préoccupé par le lendemain et par sa propre survie ?
Le débat et les questionnements sont partout ; tout le monde parle, crie, tout le monde tweet, théorise... Même au fin fond de la montagne, le silence est rompu par le débat. Un groupe de jeunes qui campent à Zaarour parlent fort politique et s’écharpent, à l’oral… Or «l’expression n’est pas l’action» écrivait je ne sais plus quel philosophe ou psychologue. Peut-être que le temps d’actions plus ciblées est arrivé. Pas loin, des chasseurs, syriens, tirent sur des oiseaux, sans aucune considération ni pour les marcheurs, ni pour les volatiles. On n’est pas à l’abri les balles perdues. On peut le leur exprimer, ils n’en ont cure ; seule compte leur instinct – l’expression n’est pas l’action.
A chaque fois que la violence se déchaine que ce soit dans le bruit, les tirs, les agressions, la pestilence… je me projette ailleurs ; je ferme les yeux et j’imagine la mer et les arbres… Suffit- il de fermer les yeux ? Pourrais- je vraiment aller ailleurs ? Techniquement, peut-être. Dans ma tête cependant défile illico le scénario des au revoir que j’aurais envie de dire avant de partir, s’il fallait repartir. Quelque peu dissuasif… Les séparations du temps où je vivais à l’étranger m’ont laissé un goût de tristesse; jamais je ne m’y suis habituée, même après des années. Toujours le même déchirement, quand venait le moment des adieux. Que faire maintenant ? La révolution avec le chaos qu’elle amène et les visions qu’elle ouvre, renvoie à l’essentiel.
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