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Paysages cathartiques de Ghada Jamal

03/03/2022|Léa Samara

« Belonging for. 1990-2022 ». Une thérapie ? 

L’exposition réunit des extraits des séries précédentes de Ghada, et présente un nouveau projet sur les ruines de l’explosion du 4 août 2020. Ce dernier, réalisé sur les deux dernières années, est né dans le studio de l’artiste, isolé dans les montagnes du Chouf. Les sujets que sont la guerre civile, la révolution de 2019 et l’explosion sont porteurs d’une charge mentale immense pour Ghada. En effet, la peinture devient un exercice cathartique, et donc empreint d’une violence usante. Sa relation turbulente à Beyrouth et à son histoire contemporaine légitimise la présence de toiles des décennies précédentes, dont des paysages plus apaisés, ou encore une célébration des printemps arabes en Tunisie et en Égypte. 

 

La particularité de la nouvelle série. 

Le processus de création artistique est d’autant plus particulier qu’il est quasiment imperceptible. Les ruines représentées sont peintes uniquement de mémoire. L’artiste ne s’est pas rendue sur les lieux, ne s’est pas inspirée de photographies. Les paysages urbains sont alors ancrés dans un souvenir profond et multi sensoriel de Ghada. Cela leur confère une puissance sans égal ; l’absence de référents dans la réalité palpable est au service d’un message limpide. 

 

Le choix de l’abstrait. Un procédé expressionniste. 

La plupart du temps, Ghada s’inscrit dans le courant de l’art abstrait, et plus précisément de l’expressionnisme abstrait. Aucun croquis, aucun brouillon, aucun tracé préalable. Tout ce qui compte, c’est le procédé artistique appréhendé dans l’exécution. Elle a quelques idées avant de commencer à peindre, mais ce sont souvent des thématiques, des émotions qu’elle a envie de transmettre. Parfois, un élément est présent dans son raisonnement dès la genèse de la toile, comme un point de fuite dans la composition, une trace évoquant du sang, un puit de lumière. Ghada nous confie avoir voulu explorer les limites de l'art abstrait tout au long de sa carrière artistique. Pour ce faire, elle aborde tour à tour divers sujets tels que la dévastation physique, émotionnelle et spirituelle causée par la guerre civile libanaise. Elle revisite l'idée d'identité et d'identification, la transformation et la dévastation de la vie contemporaine, la majesté du paysage et la grandeur architecturale de l'espace urbain.

 

Exprimer plastiquement la violence. 

En utilisant l'huile, l'acrylique et la craie sur la toile, le papier, ou le bois, son travail varie en tonalité, passant d'images paisibles et sereines à des expressions violentes et brutales.

L’expression de la violence est un des défis principaux de Ghada, qui nous décrit l’importance du geste dans la conception de la toile : « Des fines couches de peinture sont définies par l'action du bras, très rapide, la vitesse est très importante, gros pinceau. Jusqu'à ce que vous ayez quelque chose de puissant. Puis ça se développe, ça se durcit. La composition devient de plus en plus claire ». Le bleu, c'est la mer, le rouge, c'est le sang, le rose, la chair, l'ocre, les vieux bâtiments. Le processus est chaotique puisque le chaos est à l’honneur. L’artiste tient néanmoins à conserver un équilibre, elle ne se laisse pas dépasser et n’oublie quand elle a commencé. Enfin, la violence est nuancée par l’espoir, la transparence, la lumière, les sections où le blanc de la toile reste préservé, intouché, intacte. 

 

Un évènement engagé.

Dans un pays où le secteur culturel n’est même pas considéré par le gouvernement, et où le travail de l’artiste n’est pas reconnu en tant que tel, c’est évident que les budgets ne suivent pas non plus. Comment survivre ? 

La peinture de Ghada, sans pour autant exprimer un militantisme criant, se rend témoin d’une histoire, celle du Liban. L’artiste tient au pacifisme de son œuvre, même si les châssis transpirent la colère, la tristesse et l’accusation. Elle pose une question, pendue à toutes les lèvres, cette question nécessaire mais si douloureuse, celle de la responsabilité politique. A travers la beauté des ruines, ruines nouvelles, pour reprendre les termes de Ghada, elle entend faire jaillir l’essence d’une cité qui a souffert mais qui vit. 

 

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