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Réfléchir à la modernité dans le monde arabe

22/08/2023|Léa Samara

Dans un Beyrouth en perpétuelle évolution malgré la polycrise traversée par sa population, il est essentiel de reconnaître et d'admirer les esprits audacieux qui réfléchissent à l’avenir. Yasmine Nachabe Taan, professeure à la Lebanese American University à Beyrouth (LAU) et ​​directrice du Institute of Art in the Arab World incarne le mélange parfait entre le pragmatisme et la créativité. Au cours de notre rencontre, j’ai été très intéressée par son approche de l’art, du design, et des études de genre (gender studies), dans le contexte du Moyen-Orient contemporain. 

 

Institute of Art in the Arab World fait partie de la School of Art and Design de l’université. À LAU, chaque doyen, chair, et directeur d’Institut présente un rapport au Conseil d’administration de l’université (board), dont font également partie Elie Saab et d’autres “parrains”. De plus, l’Institut comporte un Conseil consultatif (advisory council), composé d’universitaires étrangers, d’artistes et professionnels du marché de l’art dont Prof. Nada Shabout, Mona Khazindar, Ali Khadra et Abed al Kadiri. 

 

Lors de la création de l’Institut, l’usage de la bonne terminologie s’est avéré fondamental, et notamment des termes “islamique” et “féminisme”. De prime abord, le nom “Institute of Islamic Art and Architecture” avait été proposé. Toutefois, des confusions ont émergé par rapport à cette appellation. L'art islamique est un mouvement, une culture, un style spécifique dans l'architecture, l'art et le design. C'est un style visuel propre à une période spécifique dans le temps, qui n’a donc, en soit, pas de rapport direct avec la religion. De même, la différence conceptuelle entre l’art et le design dans le monde arabe est très fine. Et l’artisanat dans tout ça ? Avec l'organisation d’un symposium sur l'enseignement de l'histoire de l'art et du design dans le monde arabe qui aura lieu à la mi-octobre, l’équipe de l’Institut compte explorer ces thématiques en collaboration avec des intervenants locaux et internationaux experts dans ce domaine. 

 

La nécessité et la pertinence d’un tel Institut à LAU réside également dans la question : “Qu'est-ce que l'art moderne dans le monde arabe ?”. Aujourd’hui, dans un contexte d’avènement d’une approche décoloniale des sciences sociales, en rapport avec la mise en lumière d’un orientalisme saïdien qui gangrène les sociétés, il est important d’observer la production artistique sans la comparer avec un éternel référentiel européanocentré. Comment la modernité a-t-elle été produite ici ? Comment utiliser l’art, et surtout la temporalité de l’art, pour parcourir les complexités du monde arabe ? A titre d’exemple, pour un artiste soufi, l’art abstrait n’a pas commencé dans les années 1920, mais au XIe siècle. Déjà, le but est de revenir au XIe siècle, là où la géométrie, l'art islamique, les motifs en répétition (patterns), les vases, tapisseries, calligraphies, manuscrits étaient aussi de l’art abstrait. Dans le cadre de ces discussions et interrogations sur la définition de la modernité, Institute of Art in the Arab World veut “établir ses propres codes, éviter l'imitation, la copie, être indépendant, et évoluer en fonction de son identité, de ses besoins” me dit Yasmine.

 

Est ce que ça existe une femme arabe et moderne à la fois ?”, c’est la question à laquelle s’est intéressé le podcast On Women By Women In Art, produit par l’Institut, qui opère avec un budget très modeste. Quatre artistes sont mises en avant, autour de thématiques diversifiées. Parler de femmes arabes artistes dans les années 1920 – ça n’existe pas ? Il s’agit alors de réinsérer les femmes dans l'Histoire de l’Art ; parce qu’elles existent, c’est simplement qu’on n’a pas écrit sur elles. 

 

Comment est né le féminisme, sans l’Europe ? Dans le monde arabe, en Égypte notamment, le féminisme était complètement différencié de la libération sexuelle, et est né dans le cadre de la décolonisation, ce qui nous amène également à la thématique de l’intersectionnalité. Il y a plusieurs féminismes et plusieurs modernités, car la modernité étant reliée à la temporalité, chaque culture a son rythme. « Pourquoi veut-on regarder l’Homme de Vitruve pour étudier les proportions de l’Homme » questionne l’artiste peintre et sculpteur libanaise Saloua Raouda Choucair. La Renaissance en Italie et en France est totalement différente de la Nahda, qui a ses propres codes. 

 

Pour Yasmine, il y a deux besoins fondamentaux, deux vides à combler. 

Tout d’abord, la collaboration avec la société civile, des associations qui travaillent sur l’art au Liban et dans le monde arabe est essentielle pour développer un réseau de discussion sur l’art moderne et contemporain dans le monde arabe. “Il y a beaucoup à faire” déclare Yasmine, qui déplore le manque éloquent de matière académique arabe sur la production artistique arabe. Il n’y a pas de conversation sur des mouvements, pas de réelle culture d’écriture sur l’art, malgré un programme à l’ALBA sur la critique d’art.         

 

En parallèle, Yasmine Nachabe Taan, à travers l’Institut, entend se lancer dans un travail de recherche sur la problématique suivante : Comment l'éducation sur l’art a-t-elle débuté à la Beirut College for Women dans les années 1950 (LAU aujourd’hui)? Plus globalement, “quelle est l’importance d’enseigner l’art, qu’est-ce qu’on peut faire en enseignant l’art ?”. Ici, elle fait référence à un travail sur l’identité, qui est un des pivots centraux dans l’échiquier politique et sociétal au Liban, et dans toute la région. L’art et le design sont ainsi un médium d’exception pour la véhiculation de messages et de nouvelles approches identitaires. Par exemple, selon Yasmine, l’Histoire du design doit être enseignée dans chaque pays à travers la culture du pays. C’est en cela que des jalons chronologiques sont bien nécessaires, ainsi qu’une appréhension des intérêts socio culturels variés. “Le design, c’est politique”, me dit-elle. En effet, l'art stimule une réflexion – bien – au-delà de la beauté kantienne et de l'esthétisme. Pour ce qui est du Liban, “on peut commencer à dénouer les tabous du multi-confessionnalisme à travers le design et l'art”. 

 

Enfin, Yasmine Nachabe Taan et son équipe sont à la recherche d’une "archive en danger" ou "archive menacée" à conserver et numériser pour l’année prochaine. Cette expression fait référence à des collections d'archives historiques, documents, enregistrements ou autres types de matériel qui sont exposés à des risques de destruction, de détérioration ou de perte imminente en raison de divers facteurs tels que le vieillissement du support, les conflits, ou le manque de conservation adéquate. La préservation de ces archives est d'une importance capitale pour préserver le patrimoine culturel et historique ; l’Institute of Art in the Arab World de LAU en est plus que conscient et compte bien agir sur ce point.

 

 

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