Au cœur du cœur d’un autre pays Etel Adnan s’en est allée. Son âme immense, colorée et éclatée s’est probablement répandue dans ce soleil qui traversé ses exils prolongés et multiples au centre de plusieurs décennies de création.
Etel Adnan a tiré sa révérence après une carrière infatigable et prolifique, une obsession de capter le monde au plus juste de son intensité avec son seul et unique tracé. Peintre, essayiste, poète, calligraphe, artiste, Etel Adnan embrasse désormais depuis le ciel le Mont Tamalpais, son paysage talisman, sa Sainte-Victoire, paysage éternel, universel et fidèle. Le symbole d’une vie à déjouer les langues et les nations ; reflet d’un amour pour le monde, la nature et la création, les choses telles qu’elles sont.
J’ai appris d’Etel Adnan le vertige de l’abstraction pour parler d’un présent épidermique incontrôlable, pour parler du temps qui passe. Qu’il n’y a pas que les couleurs et les mots mais surtout tout ce que la ligne permet de faire entre les deux. J’ai compris que le choix des mots n’a pas de langue et que les événements eux-mêmes forment un langage qui ponctue une vie. D’Etel Adnan je garde l’importance de ne jamais renoncer à la poésie du quotidien, que rien ne sert de combattre la mélancolie quand elle n’est qu’une autre nuance d’un éventail de couleurs infini.
J’ai appris d’Etel Adnan l’amour du Liban et son renoncement. Une montagne aride, escarpée d’une tentatrice beauté étouffée dans 1000 soleils couchés. J’ai compris le feu de la vie et à vivre très fort sans jamais oublier. L’Histoire n’a de plus grand spectateur que le quotidien. Pour briller, le soleil doit continuer de brûler que ce soit dans le ciel de Beyrouth ou de Californie. Pour conjurer la débâcle, Etel Adnan l’a transformée en une autre possibilité de la beauté. Les détours tortueux ne sont autres que des chemins de poésie à dessiner.
Alors qu’Etel Adnan a rejoint la lumière - le plus constant de ses territoires - il suffit de lever les yeux pour sentir l’entendue de ses enseignements. Elle nous a donné à voir son amour pour le monde et à alléger le poids des souvenirs. Être en vie c’est déjà un poème qui s’écrit dans des mots qui n’ont même pas été pensés. Vivre c’est conjuguer tout ce que nous sommes, ce que nous avons vécu et superposer tous les paysages d’une vie. La création n’aura pas de fin tant que les couchers de soleil continueront d’embraser le Mont Tamalpais.
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