Siham Kortas : Découverte, fascination et fierté des « doigts de fée »
21/06/2023|Gisèle Kayata Eid, Montréal
Un documentaire sur un bébé né sans mains, qui vient d’avoir lui-même un enfant et dont la mère, Siham Kortas, est une artiste qui a voulu lui rendre hommage dans un court-métrage aussi émouvant que joyeux.
Joyeux. Le mot n’est pas de trop. On se serait attendu dans le documentaire « Les doigts de fée » à visionner 25 minutes de souffrances, d’épreuves, mais c’est dans la joie qu’on découvre un bébé qui grandit et évolue avec deux moignons, sans éprouver à aucun moment une gêne quelconque. Il faisait avec ce qu’il avait. « J’étais né comme ça et je faisais les choses comme ça, depuis le début ». Paul Korkemaze est présent dans la salle, auprès de son épouse Lily, son frère, sa mère, son père, ses oncles, tantes, cousins et parents : toute une communauté qui a assisté à l’épanouissement sans faille d’un petit garçon qu’on aurait pu imaginer être malheureux pour tous ses jours à venir.
Pas du tout. Une personnalité joviale et enjouée, un caractère heureux qu’on découvre dans ce documentaire qui a baigné les spectateurs dans un bien-être inattendu : celui de voir que le handicap n’est pas forcément un malheur, mais juste une différence à apprivoiser. Vidéos à l’appui du bébé, puis du jeune garçon, Siham Kortas raconte :
« J’étais sur un autre projet, mais quand Paul m’a annoncé que sa femme était enceinte et que son frère également attendait un enfant, je me suis dit que c’était le temps de leur offrir un beau cadeau : un film qui montre, vidéos à l’appui, la belle complicité des deux frères et surtout le parcours de ce beau caractère et la jovialité de celui qui respirait la joie de vivre et qui, malgré sa différence a pu se développer, relever des défis, se réaliser et mériter son surnom de « doigts de fée ».
Siham Kortas raconte dans le film sa réaction à la terrible annonce : « Quand j’ai vu à l’accouchement qu’il n’avait aucune main, je suis restée sidérée, pendant plusieurs heures. Ce n’est que la nuit venue que j’ai réalisé pleinement ce qui nous été arrivé. C’est mon mari qui a accepté la chose le plus naturellement du monde qui, le lendemain, m’a pris la main et l’a posée sur mon petit prématuré. C’est là que j’ai senti tout l’amour que j’avais pour ce petit être, au-delà de tout ce que je pouvais appréhender. »
Et c’est cet amour que l’on perçoit dans ce merveilleux film sur ce qu’on appelle le handicap, notion à peine effleurée pour ne pas dire pas du tout. On évolue paisiblement avec ce bébé tout à fait inconscient de sa différence, qui attrape les jouets, les ustensiles, s’ébroue sur le sol du salon, bouscule son frère ou fait des sourires à tout le monde. Les spectateurs sont invités à partager cette expérience de la famille Korkmaz, à travers les nombreuses vidéos dépoussiérées, les gros plans sur ces minuscules doigts plantés dans ce qui pourrait ressembler à une petite boule, les tablées des familles réunies, les éclats de rire...et les beaux témoignages de ce bel homme de 33 ans qui raconte avec tant de simplicité, le sourire aux lèvres, nullement impressionné, amer ou souffrant : « C’est à l’école que j’ai senti que j’étais différent, pas avant. »
Son très fort charisme lui a valu d’avoir toujours beaucoup d’amis. Il avoue quand même : « J’ai vraiment eu peur quand j’ai su que ma femme était enceinte. Je craignais qu’il ne naisse sans mains. Moi j’avais vaincu cet obstacle, mais c’était mon problème à moi. Je ne voulais pas que mon enfant naisse avec mon bagage, mon problème à moi et qu’il soit obligé de vivre avec. Il connaîtra certainement des difficultés dans la vie comme tout le monde, mais je ne lui aurai pas transmis les miennes...Quand nous avons fait la première échographie, nous avons demandé expressément au radiologue de nous montrer ses mains... et bizarre, comme si le fœtus avait compris, il avait la main levée bien claire sur l’écran, avec les 5 doigts bien distincts. On a soufflé ma femme et moi. Il avait une main normale. Mais le doute persistait. Bien que nous sachions pertinemment que l’anomalie n’était pas héréditaire, on ne pouvait se départir de cette appréhension. On a demandé à voir l’autre main et c’est quand on a vu et qu’on s’est assuré que tout était normal, là j’ai été vraiment soulagé. »
Un témoignage livré avec tant de simplicité et de douceur ! Oui, il le petit Paul né sans mains était réellement un homme attachant, surtout quand il ajoute au parterre réuni au Festival du film libanais de Montréal : « Maintenant pour m’occuper de lui, c’est encore une autre épreuve, parce que si je peux lui changer la couche, cela devient plus ardu quand je dois le tenir tranquille pour le changer. »
Un documentaire qui coule comme eau de source malgré le sujet très dur en lui-même. Mais qui est Siham Kortas pour avoir réussi ce tour de force ?
J’ai été enseignante pendant plus de 30 au Cegep en technique d’éducation à l’enfance. Mais parallèlement, je chantais aussi, je donnais de petits spectacles dans le cadre de certains festivals... de modestes performances. A ma retraite, une amie m’a parlé de la figuration. Très vite, je suis devenue membre actif à l’Union des artistes. J’avais de petits rôles. Comme dans celui de « La face cachée du Baklawa » de Marianne Zehil qui m’avait approchée. Il y a quatre ans environ, j’ai écrit un scénario d’une fiction inspirée de ma vision d’immigrante. J’ai pris des formations pour la réalisation de films, mais comme il fallait m’auto-financer, j’ai laissé tomber pour le moment. C’est là que j’ai pensé réaliser un film sur mon fils né sans main, pour lui rendre hommage.
J’ai donc tapé à plusieurs portes sans réponses, finalement c’est un réalisateur avec qui j’avais travaillé qui m’a aidée. J’ai également obtenu une subvention du Conseil des arts et des lettres du Québec.
J’ai beaucoup appris durant ce film qui se voulait modeste. De quelques questions et photos, il a fallu enregistrer des interviews, fouiller dans les anciennes vidéos, repérer les passages intéressants, les téléverser... J’ai apprivoisé le montage, le mixage, l’étalonnage, la coloration...
À la question de savoir quel effet cela lui a fait de remuer tous ces souvenirs, la mère de Paul s’étonne elle-même des réponses qu’elle a données à des questions auxquelles elle ne s’attendait pas, qu’elle avait l’impression d’écouter Paul s’exprimer comme pour la première fois, réaliser qu’il avait vraiment vécu tout ce dont il a témoigné. « C’était beaucoup d’émotion. Il y avait du matériel qui aurait pu couvrir une heure, mais on a du beaucoup couper pour se restreindre à 22 minutes uniquement. »
Deux années très chargées dont elle retient une chose : « On ne sait pas ce qu’on est capable de réaliser, jusqu’à le faire. Au début je ne savais pas ce que je voulais, j’attendais que le réalisateur me propose des avenues. Mais au montage, j’ai compris que c’était moi qui devais décider ce que je voulais qu’on garde, ce qui était important. Il y a eu 19 versions enregistrées, et ce n’est qu’à la 13ème, 14ème que j’ai pu réellement procéder. J’ai appris que j’ai construit Siham l’artiste. Au début je ne voulais pas parler de moi. Mais on m’a dit qu’il le fallait : « C’est ton histoire, à toi aussi ». Mon but était de le mettre lui en évidence. Souligner la découverte, la fascination puis la fierté que Paul a suscitée autour de lui.
Mission accomplie.
À nous tous de diffuser cette fascination en lui trouvant des canaux de distribution. Il vient d’ailleurs de remporter sa première reconnaissance aux Best Short Competion !
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