Une célébration culturelle en temps de résilience
L'Institut du Monde Arabe a brillé de mille feux le 23 novembre 2023 lors de l'inauguration solennelle de la Troisième Édition du Festival de Cinéma libanais de France. Cet événement culturel majeur s'est déroulé dans un contexte marqué par les échos encore persistants de l'explosion dévastatrice du port de Beyrouth le 4 août, et l’actualité brûlante de la guerre Hamas-Israël, conférant à cette soirée un caractère à la fois de célébration de la créativité et de réflexion sur les défis auxquels sont confrontés les artistes libanais, souvent sujets à la censure dans leur propre pays.
Cette troisième édition, plus que jamais nécessaire dans le climat actuel, a incarné la vitalité et la résilience de la scène cinématographique libanaise. Une sélection éclectique de 28 films a été présentée, parmi lesquels quatre seront distingués lors de la cérémonie de clôture par des prix, soulignant la diversité, la qualité et l'originalité des productions. Au-delà des projections, le festival sert également de tribune pour des tables rondes, des conférences et des master-classes, offrant un espace de dialogue et de réflexion sur les enjeux culturels, sociaux et artistiques qui animent le paysage cinématographique libanais.
Courte Critique du Film "Tnaash" de Boudy Sfeir Un héritage cinématographique réinventé
En plein cœur de cette mosaïque cinématographique, "Tnaash," œuvre signée Boudy Sfeir et produite par Tarek Hakmi, s'est révélé être un éclatant diamant narratif, puisant son inspiration dans le classique de Sidney Lumet, "Douze hommes en colère."
Une salle de délibération, un monde de complexités entre persuasion et résilience
Ce long-métrage, tissé dans le contexte post-explosion du port de Beyrouth, nous transporte dans une salle de délibération où douze jurés, composés de neuf hommes et trois femmes, sont appelés à déterminer le destin d'un réfugié syrien accusé du meurtre brutal de Salma Hadid, une figure engagée dans la reconstruction post-catastrophe. À travers le personnage du juré n° 8, incarné de manière éloquente par Tarek Yaakoub, le film explore avec perspicacité la résistance individuelle face à la pression sociale, soulignant la puissance transformative de la persuasion et de la persévérance. Peu à peu, les jurés acceptent que leur position initiale est loin d’être objective, mais profondément définie par, bien au- delà même de leurs préjugés, leurs traumatismes individuels. Le PTSD (post traumatic stress disorder) est en effet l’élément déterminant dans le jugement de la majorité des personnages.
Le racisme envers les syriens se révèle être le facteur majeur de l’accusation quasi-unanime de la culpabilité de l’accusé. Le personnage joué par Tarek Hakmi en est un exemple très pertinent, en ce qu’il préfère durant toute la première partie de la délibération être pris pour un bègue, plutôt que de montrer son accent syrien. On voit que sa place dans l’échiquier du groupe change à l’instant où cette information est révélée.
Un regard nuancé sur la société libanaise
"Tnaash" se distingue par la finesse avec laquelle il explore une palette riche de problématiques, de l'arrogance individuelle au racisme, tout en se déroulant dans une atmosphère confinée qui intensifie le dialogue tendu entre les douze jurés. L'inclusion audacieuse de trois femmes parmi les jurés ajoute une dimension nouvelle à l'adaptation libanaise, offrant une réflexion nuancée sur la diversité sociale et les dynamiques de genre dans le pays. En effet, a souligné Yara Zakhour, une des actrices qui était présente à l’Institut du monde arabe jeudi, mettre six femmes pour calquer un miroir réaliste de la société aurait été un mensonge quand au chemin qu’il reste à parcourir pour que les femmes de société libanaise aient une voix politique décente. L'œuvre s'érige également comme un miroir habile des fractures sociales et politiques du Liban. Les tensions confessionnelles, les clivages politiques, et les perceptions des réfugiés syriens sont entrelacés dans le récit, insufflant une profondeur politique et sociale au drame.
Une note d'espoir dans la justice démocratique
Le film achève son récit sur une note d'espoir, suggérant la possibilité d'une justice démocratique où la raison et l'équité triomphent malgré les discordes et les défis sociopolitiques. L’outro intègre une connotation politique directe, avec un plan sur les restes des silos du port de Beyrouth, faisant découvrir que la salle où les jurés étaient se trouve juste à côté, probablement dans le quartier de Karantina ou de Mar Mikhael. Une voix-off se questionne sur la responsabilité collective des libanais dans le contexte politique libanais fracturé et la corruption systémique qui à mené à son paroxysme, l’explosion du 4 août.
En somme, une œuvre riche en implications, "Tnaash" offre un regard percutant sur le Liban d'aujourd'hui, capturant les complexités de la société à travers un prisme cinématographique nuancé et évocateur. En somme, une pièce qui transcende le cadre du festival pour s'inscrire dans la mémoire du cinéma libanais contemporain.
Un hommage intelligemment tissé
"Tnaash" ne se contente pas d'être une simple adaptation, mais plutôt un hommage intelligent à "Douze hommes en colère" de Sidney Lumet. En revisitant cette œuvre emblématique, Boudy Sfeir offre une perspective unique, ancrée dans le contexte libanais post-explosion. Alors que "Douze hommes en colère" explore les tensions dans une salle de délibération américaine pour juger un jeune homme accusé de meurtre, "Tnaash" transpose cette tension dans le Liban contemporain. Les deux films partagent le noyau de leur intrigue, mettant en lumière les complexités psychologiques des jurés, mais "Tnaash" enrichit réellement ce récit en intégrant les spécificités de la société libanaise, telles que les tensions confessionnelles, les préjugés envers les réfugiés syriens, et les clivages politiques dans un contexte-post catastrophe.
Article publié par l’association “Sciences-Po Monde Arabe” dans le cadre de la troisième édition du Festival de Cinéma Libanais de France.
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