Yara Zakhour et Salma Chalabi se font face sur scène dans Ward w Yasmine, mise en scène par Hagop Derghougassian au théâtre Le Monnot. Du jeudi au dimanche.. Adaptation libanaise de Rosemary with Ginger d’Edward Allan Baker, la pièce se déroule en un acte, soulevant une multitude de questions sur la nature du développement familial et ses répercussions sur le vécu individuel.
Comment échapper à l’autodestruction quand un passé lourd en héritage familial s’est incrusté dans les souvenirs et les blessures encore saignantes? Comment oublier ou faire face, comment repartir de zéro, comment construire sa propre vie et transcender tous les fronts de bataille? Comment se haïr avec modération et pourquoi s’aimer encore? Autant de questions et de questionnements auxquels les deux actrices font face, face à face sur scène. Conversation à trois voix autour de la pièce et de l’expérience scénique.
Le thème
Yara Zakhour résume la pièce ainsi: "Deux jeunes filles se connaissant depuis très longtemps se retrouvent pour remplir une application au café Tamara, un espace symbolique. De là ressurgissent des miettes de leur passé et elles entreprennent un voyage dans le passé et vers le futur, en passant par le présent. À travers tous ces problèmes auxquels elles font face, on découvre à quel point elles s’aiment et se haïssent."
Le texte
Parlant du texte de la pièce, Ward Wu Yasmine, initialement intitulée Ginger and Rosemary, qu’elle a elle-même traduit, Yara Zakhour, également actrice, affirme: "C’est le metteur en scène Jacques Maroun qui a découvert ce texte. Il a eu la générosité de nous passer le relais, n’ayant pas pu le mettre en scène pour des raisons personnelles.
Je l’ai traduit, puis nous avons, avec Salma et Hagop, révisé l’adaptation au cours des répétitions. Le texte traite de sujets et de sentiments tabous auxquels nous sommes toutefois confrontés dans notre vie quotidienne. D’habitude, on s’autocensure naturellement face aux interdits sociaux. Dans cette pièce, les sentiments se déchaînent entre ces deux filles qu’un passé commun unit."
"Les deux personnages ont traversé des situations différentes qui ont influencé leurs caractères respectifs. Voilà d’où naît leur différence", ajoute Salma. Hagop, quant à lui, souligne que "le texte est idéal pour une base de travail avec Salma et Yara. J’ai apporté des changements dans la mise en scène. Je ne pense pas avoir jamais fait de mauvais choix concernant le choix des acteurs par rapport au texte de scène."
Le choix des actrices
Salma Chalabi nous parle du choix du metteur en scène pour son rôle: "Mon rôle devait être joué par Sarah Abdo, qui a quitté le pays. Mais, comme Yara et moi sommes amies dans la vie, comme les personnages de la pièce, cela a influencé le metteur en scène dans son choix, à mon avis." "Salma a une énorme capacité de créativité et son apport pour le rôle de Ward est énorme. C’est aussi un esprit libre et elle n’a pas de tabous. Elle a la capacité de donner une autre dimension à la pièce", renchérit Yara. Hagop Derghougassian ajoute: "Ward c’est elle, tout simplement. Après Sarah, je ne pouvais imaginer personne d’autre dans ce rôle."
Le choix de ses actrices et de ses acteurs correspond à la politique du metteur en scène, hors des sentiers battus. Il explique: "Je pense que ma formation cinématographique m’a beaucoup apporté au théâtre. En troisième année d’université, par exemple, alors que je venais de découvrir Dr. Jekyll and Mr. Hyde, je me suis dit que si un jour, j’en réalisais le film, je choisirais John Malkovich pour ce rôle. Deux ans après, en 1996, le film Mary Reilly de Stephen Frears est sorti avec Julia Roberts. John Malkovitch tenait le rôle de Dr. Jekyll and Mr. Hyde. J’ai alors senti que j’avais une certaine vision, celle du visuel. À mes yeux, le spectateur n’est pas qu’un spectateur. J’attire son attention sur certains plans, dans un panorama cinématographique. Lors du monologue de Salma, par exemple, je détourne l’attention du spectateur vers les réactions du personnage silencieux, Yara dans ce cas-là. Tout dépend du texte et de ma perception du personnage."
L’expérience théâtrale
"Être amies dans la vie nous aide à faire du théâtre ensemble", acquiescent Salma et Yara. "Nous nous connaissons et savons ce qui nous gêne respectivement. Nous ressentons nos énergies du moment. Cette pièce est impossible à construire avec une personne éloignée." Salma ajoute: "Nous avons de l’empathie l’une pour l’autre, humainement et théâtralement. Nous sentons quand il faut nous donner une pause. Yara est professionnelle et respectueuse. Sinon, il aurait été dur de travailler avec elle."
Pour Hagop Derghougassian, "Yara saisit vite mes exigences ou demandes, vu qu’on a longtemps travaillé ensemble, alors qu’avec Salma le processus est différent. Elle a tellement d’énergie qu’elle commence à travailler avant d’avoir écouté la totalité de mes indications. Mais je pense qu’avec le temps, et les projets à venir, on y arrivera, comme c’est le cas pour le reste du collectif". "C’est le fait de travailler avec mon professeur à l’université – Hagop – qui me donne autant d’enthousiasme", réplique Salma. "Hagop est un metteur en scène qui a le don de l’écoute et la capacité de réception. Je joue dans cette pièce pour mon propre plaisir." Et Yara d’ajouter: "Ce travail est le fruit de notre passion pour le théâtre, que ce soit celle de l’équipe technique dans les coulisses ou la nôtre. Si la confiance entre nous et le metteur en scène n’était pas réciproque, il nous aurait été difficile d’aller au bout de nos capacités."
Entre théâtre et télévision
Quant au retour au théâtre après les séries télévisées, ou en parallèle, Salma Chalabi atteste: "Durant la période du Covid, nous ne pouvions plus vivre l’instant au théâtre ni faire l’acte de vivre. J’ai donc arrêté le théâtre pendant deux ans et je me suis dirigée vers la télévision. Mais dès que le monde s’est remis à tourner, ma passion a retrouvé sa place. J’ai toujours dit, concernant les projets, que j’en choisissais un pour l’âme et dix pour la poche. Maintenant, c’est le contraire: dix pour l’âme et un pour la poche." Pour Yara, enchaîner les pièces et les personnages n’est certes pas facile. Entre la télévision et le théâtre, c’est vers la scène que son cœur penche: "Je me retrouve au théâtre. C’est cependant un engagement qui nécessite un don de soi. C’est fatigant, certes, mais c’est aussi une expérience de vie et l’on se sent vivre intérieurement."
Coulisses et rêves futurs
Le metteur en scène confie en guise de conclusion: "Cette pièce est aussi le travail de toute une équipe dans les coulisses du théâtre Monnot. Josyane Boulos, la directrice du théâtre est particulièrement à l’écoute et nous procure un soutien permanent. Cette pièce est prometteuse et pourrait changer de format artistique au fil du temps…"
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Par Marie-Christine Tayah
Cet article a été originalement publié sur le site de Ici Beyrouth
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