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Jean-Marc Bonfils, l'architecte tout en discrétion

18/08/2020

Discret et engagé, l’architecte français Jean-Marc Bonfils fait peu parler de lui, et pourtant son travail, notamment récemment l’immeuble Kettaneh à Mar Mikhael, appelé East Village, a fait connaître son cabinet JM. Bonfils and associates internationalement.


“L’architecture, c’est un art dans le sens où l’architecte prend conscience de son environnement pour le traduire en une œuvre traduisant un sentiment et donnant une nouvelle image de cet espace”, estime Jean-Marc Bonfils. Avec un maître-mot : “la sensibilité, mais pas la sensiblerie, non, la sensibilité de manière littérale, qui a du sens”. Ainsi, il se refuse à travailler sur n’importe quel projet n’ayant pas de sens à ses yeux : “on peut appeler ça de l’arrogance, mais il s’agit seulement d’une manière de travailler cohérente, une sorte de marque de fabrique du cabinet”. Des choix personnels et professionnels qui lui tiennent à cœur et qui ont à voir avec son parcours éclectique.

Né au Liban mais ayant étudié l’architecture à Paris et Londres, Jean-Marc Bonfils a travaillé une dizaine d’années à Paris avant de remporter un concours international d’architecture organisé par Solidere et de rentrer au Liban en 1995. Il a au départ beaucoup travaillé dans le domaine de l’urbanisme, en revitalisant des schémas directeurs concernant les villes touristiques telles que Batroun, Baalbeck, Majd el Anjar, Rachayé, Zahlé ou encore Byblos. Il a également assisté son père, architecte “superstar” des années 70-80 au Liban, puis a lancé son propre cabinet d’architecture, JM. Bonfils and associates, en 2006 lors de son départ en retraite. Au fur et à mesure de son parcours, il a laissé libre cours à sa passion pour le violon en prenant des cours de musique classique au Conservatoire parisien, a “beaucoup lu” mais s’est aussi passionné à la notion de patrimoine, ce qui l’a mené à l’enseignement (à l’université américaine puis à l’ALBA) ainsi qu’à de nombreux engagements.

La mémoire de la ville
En effet, en parallèle de son travail d’architecte, il s’est retrouvé à faire partie d’une commission ministérielle pour rédiger un texte de loi concernant les maisons classées, mais qui a été bloqué au Parlement, il a été le membre fondateur de la Commission du patrimoine de l’Ordre des Architectes de Beyrouth, puis conseiller d’un ancien ministre de la Culture avec lequel il a établi le programme en avant-projet de la Bibliothèque nationale. Jean-Marc Bonfils a travaillé également sur la revitalisation des anciens plans concernant les espaces publics, a été membre de la Fondation nationale du Patrimoine grâce à laquelle il a implanté deux écomusées, l’un à Turbol, construit en terre avec des techniques ancestrales, l’autre à Ras Baalbeck sur la presse de la mélasse. De multiples activités et intérêts qui vient de son métier d’abord : “en travaillant sur les espaces publics, je devais voyager à chaque fois qu’il me fallait un document du fait de la reconstitution des institutions après la guerre, il fallait se les réapproprier et les regrouper” ; mais également de sa sensibilité : “je me suis demandé quelle était la nature de la mémoire après la guerre, comment les gens évoluent avec ça ? Cette période a violemment effacé la mémoire collective libanaise, ce qui m’a amené à m’intéresser à la notion de patrimoine”. En 1999, il organise ainsi une exposition sur la mémoire collective à Sursock en collaboration avec les Archives nationales lors de l’année où Beyrouth a été nommée capitale culturelle du monde arabe, et devant l’intérêt manifesté par le public se lance sur le projet de la Bibliothèque nationale, aujourd’hui installée dans un vieux bâtiment à Sanayeh.

“Dans mon travail comme dans la vie, je m’intéresse beaucoup aux notions de mémoire et de ville”, confie-t-il calmement. “La ville est un être vivant en perpétuelle transformation, et il est passionnant d’étudier cette évolution. Beyrouth n’a aucun critère défini, elle change par l’action de comportements à la fois collectifs et individualistes : c’est une ville de paradoxes et de paradigmes, de différentes réalités qui se rencontrent et se séparent. Il est important de le voir quand on s’attelle à la construction d’un bâtiment ici.”

Une architecture contextuelle
L’une de ses réalisations les plus connues et East village, l’immeuble des Kettaneh à Mar Mikhael. “Je suis un ami de Naila Kettaneh, dont la famille a acheté un terrain pour construire un bâtiment capable d’accueillir la galerie Tanit”, explique-t-il. “J’ai commencé à travailler sur le projet en 2007, avant que Mar Mikhael ne devienne un lieu aussi attractif. J’ai eu l’idée de placer la galerie au rez-de-chaussée et d’assembler des lofts en duplex au-dessus. Comme le terrain est fin, long et orienté à l’ouest vers le centre-ville, j’ai voulu construire un grand carré élevé et blanc, avec sur la façade ouest une grande fenêtre rouge, une sorte de fente de vue où se trouve un bar qui semble regarder vers les autres bars de Gemmayzé et du centre-ville. Vu qu’il y de moins en moins d’espaces verts à Beyrouth, j’ai placé un jardin vertical sur cette même façade, comme un cadeau à la ville, une sorte de poumon suspendu.” L’architecte a préféré développer la façade faisant face au cœur de la ville dans un esprit de respect de l’environnement et du contexte : “Je suis très sensible à la localité, et donc je prends en compte du contexte au sens large, c’est-à-dire à la fois environnemental, physique, humain et même économique”.

Cette attention est révélatrice de la manière de travailler de son cabinet d’architecture et de sa personnalité : “Je suis un architecte résolument contemporain, mais je me place à la rencontre entre le moderne et l’ancestral, on peut être un moderniste convaincu en prenant en compte le passé et le présent d’un lieu !”. Pour lui, “chaque projet est une nouvelle aventure dans ce sens où l’on plonge dans un nouveau contexte, une nouvelle réalité à chaque fois différente”. Et de préciser : “depuis 2006, nous avons travaillé sur plus de 150 projets différents, mais tous ont un sens à nos yeux”. De fait, le cabinet s’attache de manière intime à la personnalité des clients qui viennent réclamer ses services et son savoir-faire : “nos clients deviennent souvent des amis et ils savent que je ne travaille pas sur le show off, j’adopte un langage très épuré”. Cette simplicité et cette passion toute en discrétion a mené JM. Bonfils and associates à travailler internationalement, notamment à Chypre, en Jordanie, en Arabie saoudite, en France, en Afrique et en Grèce, sur des échelles allant de la villa au musée. Au Liban, ils sont surtout connus pour la villa Hajjar à Hazmié, le siège social d’Impact BBDO, le siège d’une banque au centre-ville de Beyrouth, des écoles publiques, et East Village. Ils travaillent actuellement sur des projets en Afrique, deux en dehors de Beyrouth, et trois dans la capitale, dont l’un des ‘landmarks’ à l’entrée nord de Beyrouth. Dans les meilleurs moments, ils ont employé jusqu’à une quinzaine d’architectes, sous-traitant le reste du travail à des agences d’ingénierie afin de “garder un aspect puriste à notre travail dans un pays où l’on mélange tout, nous avons fait preuve de résistance”. L’important dans son cabinet, Jean-Marc Bonfils le résume avec humilité : “Le travail d’équipe est essentiel afin de confronter des sensibilités contradictoires et d’arriver à quelque chose de commun, sans ego et dans le respect”.

Propos recueillis par Florence Massena
 

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