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‘Go Home’ ; Where about ?

02/12/2016|Nicole V.Hamouche

Elles sont libanaises, elles sont femmes, elles sont de générations différentes ; iranienne, bulgare, toute exilées, elles ont un lien à Paris, elles me passionnent. D’aucuns me reprochent d’écrire toujours sur les femmes ; ça n’est en rien sexiste ; simplement que leurs histoires ou leurs écrits - peut-être parce qu’elles se dévoilent plus volontiers et qu’elles donnent à voir - me touchent, me parlent, m’inspirent. Si l’héroïne de ‘Go Home’, le film de Jihane Chouaib, cherche refuge dans la maison familiale dans le village natal ; pour ma part, j’ai souvent cherché refuge ou inspiration dans ces histoires de femmes de destin. 

L’affiche du film ‘Go Home’ de Jihane Chouhaib sur les colonnes Maurice à Paris, captive mon regard - il sort à Paris avant Beyrouth ; cela m’interroge - de même que l’interview de Golshifteh Farahani. La célèbre actrice iranienne interdite de séjour en son pays, incarne une libanaise qui enfant, a fui la guerre du Liban pour s’installer en France, et qui des années plus tard, revient dans la maison en ruines de son grand père, disparu. Maison en ruines, métaphore des démons ou des fêlures au dedans. Si la façade est conservée tout comme le beau visage de Golshifteh Farahani, l’intérieur lui, a besoin d’être nettoyé et retapé. Entreprise qui touche autant à la pierre qu’à l’âme. ‘‘Si la guerre est finie elle est présente à travers les bâtiments détruits et les impacts de balle qu’on voit partout. On la distingue aussi dans l’âme des habitants. C’est une douleur profonde, mais le pays n’est pas en deuil’’ - singularité libanaise - observe l’actrice qui dit se sentir très connectée aux Libanais, de par une histoire, d’une certaine manière, commune. L’exil, l’oppression, la place des femmes, de leur corps ; appartenance, identités, questions parallèles iranienne, libanaise. 

Dans un monde diffracté ou plus, personne n’est chez soi, ou très peu ; la problématique que soulève le film est criante d’actualité voire d’urgence. Où aller ? Où est ‘home’ ? ‘Home is where your heart is’ dit le dicton. Et si leur cœur est en Syrie, au Liban, ou en Libye ; et si leur cœur est en Palestine, en Afghanistan ; comment vont-ils chez eux ? Quand ça pue, quand ça tue, quand ça morve. Et si leur cœur, ils ne peuvent plus le toucher tellement ils ont dû le serrer pour avancer ? S’il s’est enfoui/enfui quelque part sous le poids des souvenirs dont ils ne veulent plus se souvenir, des violences assenées à l’arme blanche ou noire, sauvage, écrasante, ou plus subtile, insidieuse, vénéneuse, mortifère dans tous les cas ? C’est quand même lui, le cœur, qui les aide à porter leur maison sur le dos, et comme les tortues à poursuivre le voyage. Elles traversent les océans les tortues de mer ; elles foncent les tortues de terre - contrairement à ce que dit la légende - et leur carapace leur permet de se centrer à l’intérieur lorsque l’extérieur se fait chaotique, dramatique. C’est ainsi que des femmes de cœur : Abeer Seikaly en Jordanie, Farah Jaroudi et Berna Daou au Liban, Radwa Rostom en Egypte, se font fort de mettre au point des maisons tentes mobiles ; refuge design, esthétique, confortable, autonome (chauffage, eau courante, électricité), écologique, à l’adresse des réfugiés de ce siècle ; errants produits par les méandres de la realpolitik et de la géopolitique. La superbe tente développée par Abeer Seikaly intitulée ‘Weaving a home’ a remporté le Lexus Award en 2013 : la créatrice souhaite qu’elle permette à ses bénéficiaires de retisser les fils de leur existence et d’un cocon. Peut-on s’habiter sans habitation ? Et suffit-il d’une habitation, mobile ou pas, pour s’habiter ? 

Dans l’ère numérique, fragmentée où personne n’est plus forcément chez soi, comment s’habiter ? ‘Home’ est-il forcément le pays d’habitation, ou le pays de naissance ? ‘Home is where your heart is’ ; même si la formule est éculée, elle est peut-être empreinte de vérité. Destination ou chemin ? Cheminement, plus ou moins difficile - en temps hyper connectés - pour arriver jusqu’à soi. ‘Je me voyage’ est le titre du livre mémoires/entretien de Julia Kristeva. Se voyager et se délester de ses chaines, comme le dit la psychanalyste, romancière, philosophe dans cet ouvrage fascinant. L’éternelle étrangère trouve habitation dans la mesure où elle est elle-même habitée. Se voyager et tisser son existence. La mêler à ‘‘la littérature, la peinture, la musique, l’architecture ou le cinéma ; intarissable drogue des étrangers, éphémères escales de mémoire qui aident à traverser le désert, elles durent et nous ressourcent aujourd’hui’’ comme l’écrit et le fait Kristeva. Comme le fait Etel Adnan, autre grande exilée voyageuse à qui l’Institut du Monde Arabe rend hommage actuellement ; qui s’est intéressée à la tapisserie également. Tisser des vies comme on tisse le tapis... Peut-on encore tisser comme Pénélope à l’ère du laser cut ? Pourquoi pas ; ‘‘la révolte c’est refuser ce que le pouvoir politique ou la société veut imposer à un individu’’ commente Golshifteh Farahani. Révoltée et engagée, Farhani ; révoltée et engagée 
Etel Adnan ; révoltée ou plutôt ‘multipliée’ - comme elle aime à le préciser - et engagée Julia Kristeva. S’engager tout en se voyageant ; tout en voyageant ; avec ‘souci’. Le souci de soi, le souci de l’autre. ‘‘Le souci maintient simplement le contact le plus intense avec l’étrangeté du prochain comme de soi ; le souci est l’aurore de la proximité. Si rare dans le monde égocentrique de la consommation et du virtuel numérique, que l’urgence pédagogique s’impose d’introduire le souci avec la capacité de soigner comme valeurs premières avant tout autre enseignement laïque de la morale’’ raconte Kristeva, auteur du Génie Féminin, chantre de la singularité, mais aussi de l’altérité. N’est-ce pas cela, le féminin ?

 

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