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Niet tentation de Venise

27/04/2016|Nicole V.Hamouche

‘‘Quiconque s’est entrainé à l’imaginaire a échoué ; s’est trompé, il aurait dû s’entrainer au réel’’, écrit Yassin Hajj Ali à sa femme, Samira el Khalil, activiste enlevée en Syrie en Décembre 2013. Le réel est plus puissant que tout ; c’est lui qui nourrit l’imaginaire. Les œuvres les plus poignantes viennent de là, comme ‘Le sommeil des gazelles’, la pièce de théâtre mise en scène par Lina Abyad, autour de la crise des réfugiés syriens, jouée ce mois. Toutes les histoires relatées, terribles, sont véridiques quand bien même elles ont donné naissance à une scénographie, empreinte de poésie, faisant de ce moment de théâtre un beau moment. 

Je ne voulais pas écrire sur cette pièce car j’y ai moi-même participé et que ‘’cela ne se fait pas’’ d’habitude quand on est partie prenante, mais Lina Abyad, Samar Yazbeck et Doaa, que j’ai pu découvrir à l’occasion de cette pièce, vous apprennent le courage. Toutes trois des gazelles, qui dorment les yeux mi-clos, alertes, dans un monde qui n’autorise pas le sommeil des loirs ; un monde où la tragédie syrienne a, comme dans la tragédie antique, englobé tous les protagonistes, qu’ils soient sur scène, derrière les rideaux ou encore spectateurs. La metteure en scène libanaise, l’écrivain syrienne exilée et la jeune refugiée, survivante d’un effarant naufrage veulent raconter, des histoires d’hommes et de femmes, d’enfants, pour ‘’humaniser’’ l’Histoire. Raconter les histoires de l’un et de l’autre, c’est sortir de la loi du nombre pour aller dans le singulier et donner une voix à ceux que tout le monde veut faire taire - chez eux et ailleurs - pour s’apercevoir alors qu’ils ont comme tout un chacun, ‘‘des qualités humaines, qui les rendent proches et fréquentables’’ comme le dit le journaliste Youssef Bazzi dans le débat qui a eu lieu à la LAU avec l’écrivain syrienne alaouite Nadine Wannous, l’écrivain Elias el-Khoury et Lina Abyad autour de la pièce de cette dernière. ‘‘En sauvant leur mémoire et leurs histoires, tu nous as sortis de nos habitudes’’ dit Wannous à Abyad, ‘’nos habitudes de ne plus réagir à rien’’. C’est bien là le pari de l’art et notamment du théâtre, de traverser celui qui le reçoit, de ‘‘le transformer’’ ; encore faut-il ‘‘se laisser traverser’’ pour reprendre les mots de Lina Abyad qui n’a eu de cesse au fil de ses spectacles de défendre une humanité bafouée. ‘’On retrouve sa propre humanité en défendant celle des autres’’ ajoute un des intervenants. 

Si l’art fuit, il fuit sa propre mission et sa raison d’être. ‘Le sommeil des gazelles’ est d’autant plus courageux qu’il adresse le sujet en plein cœur de la crise et non avec le recul apaisé des années. Avec pour édulcorant, la poésie et le rire ou le sourire provoqués par le surréalisme de quelques scènes - pourtant véridiques - comme ce refugié enlisé dans une cuve de chocolat dans laquelle il s’est trouvé par hasard en fuyant ou ce débat sur le menu du jour, à base de pommes de terre comme tous les jours - l’ingrédient le moins cher qui cale la faim - et cette envie de frites, qu’il n’est pas possible de satisfaire vu la cherté de l’huile. L’humour et l’autodérision ne permettent-ils pas aussi de survivre un peu à la douleur ?

Les artistes engagés sont des Sisyphe qui, à leur manière, cherchent à transcender le fardeau de l’obscurantisme ; à l’instar de ces hommes et ces femmes qui, ployés, agglutinés sur le ‘’chemin des fourmis’’ vers l’Europe, dans cette scène poignante et hyper visuelle de la pièce, continuent leur marche, repoussant tous les jours un peu plus leurs limites, le courage et l’espoir au fond des tripes. Le regard tourné vers l’avenir, vers l’Europe, par delà la représentation cliché du migrant qui ressasse le passé quand bien même la nostalgie du pays reste là quelque part. Quand la seule option chez eux est la prison, l’élimination/la disparition ou le refuge, les Syriens choisissent le refuge et ce faisant, la vie. C’est ce qu’ont bien compris les citoyens du monde qui se sont engagés dans cette crise, longue, conscients de l’interdépendance des choses et de ce que l’histoire est ainsi faite, de mouvements migratoires. Ils sont jordaniens, grecs, allemands, etc. et déploient des solutions concrètes, non seulement pour pallier à l’instant, mais dans une vision de continuité : Abeer Seikaly, avec sa tente intitulée ‘Weaving a home’ (Tissant une maison), visant à créer un environnement esthétique, digne et relativement confortable (chauffage, eau courante, électricité) aux déplacés afin qu’ils puissent se poser et retisser les fils de leur existence et d’un cocon ; Ioanna Theodorou et Paula Schwarz avec StartUp Aid, un accélérateur de start-ups catalyseurs de l’aide humanitaire destinée aux migrants ; Markus Kressler avec Kiron University, une université en ligne pour réfugies, qui décerne des formations diplomantes reconnues et ouvre la possibilité de poursuivre le cursus dans des universités ‘’réelles’’ partenaires… Tous les trois étaient là, à Beyrouth dans le cadre d’une conférence organisée par Carnegie Middle East. Et il n’y pas qu’eux, il y a de semblables initiatives partout en Europe et il y a tout simplement tous ces volontaires qui viennent encore à Lesbos des quatre coins du monde, et notamment d’Occident, pour se mettre au service. Vue comme ceci, cette guerre terrible peut rester porteuse de quelque espoir. Paradoxalement, elle met aussi à jour, une humanité autre.

Niet tentation de Venise donc comme titrait Alain Juppé dans son livre paru en 1993, méditant sur sa tentation de retrait du politique, sur la violence du métier et sur son sens. Depuis, il est de retour à la politique et sur la grande voie, avec le sens qu’il a choisi de lui donner, lui. Vu de l’angle de Lina Abyad, de Samar Yazbeck, des manifestants de Damas, de Ioanna Theodorou ou de Abeer Seikaly, celle-ci reste ainsi, une noble tâche. Niet tentation de Venise, hormis pour l’inspiration. 
 

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