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Paysage de nos larmes

30/05/2017|Nicole V.Hamouche

Croire ou ne pas croire ? Telle est la question quasiment ontologique - du même ordre que la shakespearienne ‘‘Etre ou ne pas être’’ - que pose le spectacle ‘Paysage de nos Larmes’ du Collectif Kahraba. Croire ou ne pas croire ? En Dieu ? On a tendance, surtout par les temps actuels, à assimiler la question à une question religieuse. C’est de croire en l’homme ou pas qu’il s’agit ici. Croire en l’homme ou croire en Dieu, c’est kif kif au final, si Dieu n’est pas assimilé au Dieu des grandes religions monothéistes. Croire en quelque chose… de plus grand que soi. Car celui qui ne croit en rien est dangereux et malheureux. Tout autant que celui qui croit en n’importe quoi. Au-delà de Job qui représente l'archétype du Juste dont la foi est mise à l'épreuve, c’est la nécessité de la poésie que rappelle ce spectacle. Et la nécessité d’exprimer. Car ‘‘toute parole qui n’est ni prononcée ni écrite, n’est pas entendue’’ comme l’annonce très clairement d’emblée le texte. L’homme est le seul à croire en la poésie d’après Matei Visniec, l’auteur roumain d’un texte qui n’est pas loin de rappeler dans la torture et la cruauté, ‘La vingt-cinquième Heure’, imaginée par un autre Roumain Vigil Gheorghiou qui en est devenu célébrissime. 

Heureusement qu’il y a les mythes et la poésie, qui a rendu ce moment magique et la marionnette squelette si belle, surtout lorsqu’elle se mouvait sur l’impulsion de comédiens tout aussi présents que discrets. Les hommes se confondent avec la marionnette. N’y a-t-il pas aussi la quelque chose de symbolique ? Petits humains, mus par des forces obscures et autres, que nous avons peut-être parfois - rarement ? - le choix de suivre ou pas ? ’’Je crois en l’homme’’ répète à satiété cette marionnette décharnée. 

 


[Photo : © Éric Deniaud]
 


Peut- être que ce collectif féru d’art, de poésie et d’engagement a-t-il choisi de s’appeler Kahraba parce qu’il n y a plus de courant ; pour faire des étincelles. Ils font plus d’étincelles que l’EDL. Avec leurs spectacles, ils alimentent le courant. Avec leur poésie. Job est dans tous ses états, mais le spectacle est beau. Cette fin de semaine a quelque chose de triste. C’est aussi le quarantième de Samir Frangié, un certain monde qui s’en va. Au cinéma, j’ai vu ‘Nour’, un film de chez nous : la violence du système patriarcal et le statu quo eu égard à la question du mariage des mineures comme tous ces statu quo auxquels nous nous accrochons urbi et orbi au risque d’imploser… Un autre genre de torture. Paysage de nos larmes. Violence sociale, familiale, conjugale et celle du silence ; mais Job continue à croire en l’homme.

On marche à la sortie du théâtre avec Lina Abyad, metteure en scène engagée ; plusieurs personnes nous suivent ou nous abordent successivement, pour certaines avec hésitation, pour d’autres avec plus d’audace. Hamra serait encore propice à la rencontre. Ils ont repéré Lina : des étudiantes en littérature arabe veulent la convier à un évènement ; un artiste syrien exilé qui arpente la rue a envie de s’entretenir avec elle, un jeune couple à T-Marbouta la hèle. Ils ont soif de littérature, de théâtre. Ca rassure. Ils continuent à croire en l’homme. L’art est une fracture dans ce monde fracturé. Dans la fracture un peu de lumière.

Il y a les tenants de ’’l’homme est un loup pour l’homme’’, Hobbes qui saute aux esprits dans la salle obscure ; les tenants de Rousseau, l’homme bon par nature, corrompu par la société et puis les tenants de la poésie. Sans celle-ci la condition humaine serait insupportable. 

’’Sans savoir pourquoi
J’aime ce monde 
Où nous venons pour mourir’’
(haiku japonais, Natsume Soseki)

Et un autre japonais, Tite Kubo, pour ceux que la réponse par l’affirmative quant à croire en l’homme titille : ’’Ne crains pas les illusions, c’est déjà sur elles que le monde repose’’. 

 

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