Il n’est pas nécessaire d’être poète ou artiste ; ou un peu si, du moins dans l’âme pour s’apercevoir qu’il y a un Liban, celui du conflit, de l’Etat islamique, de la vacance de la présidence, de la délinquance, de la déliquescence… et qu’il y a mon Liban, un autre Liban. Celui de la lumière, celui de l’art, celui de la créativité décuplée, celui du métissage : libanais, syriens, palestiniens… ici, ailleurs, Beyrouth, Singapour, Berlin... Pendant que les médias relaient tous les matins les invectives de politiciens dépassés et les massacres à la pelle, aux couteaux, aux boyaux ; il est des hommes et des femmes qui donnent à Beyrouth un autre intérêt. Car ’’il est des villes comme des femmes, elles deviennent éternelles parce qu’un homme a fait des rêves de grandeur pour elles’’ comme l’écrivait Vénus Khoury-Ghata - à l’occasion de la 21e édition du festival Lettres d’automne de Montauban dont elle fut l’invitée d’honneur. S’il ne s’agit pas exactement de rêves de grandeur et pas de ceux d’un seul homme, il s’agit en tous cas de rêves de destins, de rêves de vie, de célébration de celle-ci par ceux qui savent encore rêver, imaginer, regarder : artistes, poètes, entrepreneurs, moteurs…
Les départs successifs en un même mois de grands artistes comme Said Akl et Sabah nous ont rappelé que nous sommes bien détenteurs d’un patrimoine dont nous pouvons être fiers même si nous l’avions presque oublié, parce qu’il fait moins de bruit que les bombes, les fusils et les éructations. Ils nous ont rappelé que nous sommes bien capables d’une autre vision du monde : géniale, humaine, fraternelle. Il n’y a toutefois pas que les départs et les commémorations ponctuelles du passé pour nous le rappeler ; il y a les talents actuels et les initiatives de ces pèlerins inlassables que sont les créateurs de tous genres, au quotidien : l’événement Accelerate 2014 de la Banque du Liban a fait la lumière sur un entrepreneuriat et une créativité libanais bouillonnants ; le photographe Roger Moukarzel a fait l’ouverture de la Singapore Art Fair - écran géant, mix de 50 000 images prises à travers le monde - le cinéaste Philippe Aractingi sillonne la planète avec son film ‘Héritage’, justement pour que l’héritage ne soit pas dilapidé ; Salah Stétié pose le Liban avec toute son ’Extravagance’ sur la table des plus grands libraires parisiens. Et dans ce même Paris du dialogue des cultures, Vénus Khoury-Ghata, prix Goncourt de poésie, brode ses mots autour des toiles du Syrien Ziad Dalloul exposées à la galerie, de renom, Claude Bernard ; pendant qu’un site de la Mémoire créative de la Révolution - financé en partie par l’Institut français - se fait fort d’honorer et de conserver l’étonnante et prolifique production des talents syriens révélés par cette même révolution, témoin de la conscience d’une génération qui continue à chercher à participer d’une manière ou d’une autre à l’écriture de son histoire contemporaine.
Car l’art, le devoir de mémoire et la protection de l’héritage rendent crédit à l’histoire d’un peuple et le maintiennent dans un élan de vie créatif quand bien même sur l’échiquier international, il serait remplacé par des enjeux géostratégiques. Parce que l’art contribue à briser la solitude qui confine à la peur ; parce qu’il est communion et que la peur se dissout dans la communion. Ainsi, la fin de cette culture de la peur permettra-t-elle sans doute à une société civile créative, mais souvent virtuelle, exilée ou éparpillée, de se projeter dans le réel. Elle permettra à ces hommes et ces femmes qui cheminent entre deux mondes, entre dix peuples, entre mille histoires, comme les personnages de ’So Far, So Close’ de Roger Moukarzel de devenir les vrais ambassadeurs d’un Liban autre, d’une Syrie autre… ‘So Far, So Close’, ’’Quelque part entre l’Arabie et l’Asie, entre l’Extrême-Orient et le Moyen-Orient, est l’histoire d’un homme qui marche. Nous ne voyons pas sa face, il en a mille. Ce voyage est presque onirique, mais il laisse en même temps ses traces dans le monde réel’’ dit Roger Moukarzel à propos de sa vidéo présentée à Singapour. Un homme qui marche ; ’’Lève-toi et marche’’ dit Jésus au paralytique. On ne peut s’empêcher d’y penser en cette veille de Noël et d’oser la bienveillance dans une région du monde qui ploie sous des handicaps qui lui sont presque devenus consubstantiels tant on les lui a assénés. Cette région du monde grâce à laquelle naitra peut-être un nouveau dialogue des cultures, de nouveaux citoyens du monde comme ceux dont rêvait André Breton et le pacifiste Garry Davis qui inaugurèrent à Cahors en 1950, au lendemain de la guerre, la Première Route mondiale de la paix, censée abolir les frontières. ‘Imagine’ chantait John Lennon.
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