À Tripoli, trois soirs pour remettre le cinéma à l’honneur
20/04/2022|Marine Caleb et Philippe Pernot
Faire revivre, pendant quelques jours, le monde endormi du cinéma à Tripoli : c’est le pari un peu fou que veut relever le centre de documentation UMAM avec une série de projections de films, du 25 au 27 avril. Le programme est ambitieux, avec 10 courts et longs métrages de 7 réalisateur⋅ice⋅s tripolitain⋅s projetés sur trois soirées d’affilée. « Le but, c’est d’amener le cinéma chez les gens, pour mettre en valeur les talents locaux. Depuis 65 ans, les productions tripolitaines font preuve d’une sensibilité visuelle et esthétique de haute qualité, consistante au fil des années », s’enthousiasme Nathalie Rosa Bucher, organisatrice de l’événement et curatrice de l’exposition TripoliScope, basée à Chekka, qui retrace l’histoire mouvementée des cinémas de Tripoli.
La plupart des projections auront lieu dans le cadre idyllique du café Tall el-Olya, surplombant la place Tall. Datant de l’ère ottomane, le café populaire était lui-même… un ancien cinéma en plein air estival, avant la guerre civile. « Je veux faire revivre les lieux culturels dédiés au 7e art et instiguer une rencontre entre deux générations de réalisateur⋅ices de talent », espère la documentaliste. Le public pourra ainsi redécouvrir des classiques du cinéma libanais avec les légendaires Georges Nasser et Randa Chahal Sabbagh, en même temps que des créations récentes d’Ahmad Naboulsi, Maya Sourati ou encore le duo émergent Rania Attieh et Daniel Garcia.
Ila Ayn
Les trois soirées seront axées sur des thèmes précis. L’exil et la marginalisation des Tripolitain⋅e⋅s sera abordée le 25 avril à travers le regard d’une institutrice qui rêve de voyager dans l’espace (Space Woman de Hadi Moussally, 2018) ou encore avec la destinée mouvementée du Souk el-Ahad (Sunday Market de Yahya Mourad, 2018), dont plusieurs travailleurs viendront animer une discussion-rencontre. « Le souk a été le lieu des personnes qui ont voulu se protéger des conflits, en marge de Tripoli. Pour moi, il y a un parallèle avec la ville en entier, qui est marginalisée », partage-t-elle.
Le chef-d’œuvre de 1957 Ila Ayn de Georges Nasser (1927-2019), pionnier du cinéma libanais, accompagnera ces réflexions contemporaines. « C’était le premier film libanais projeté au Festival de Cannes ! Il fait écho à l’exode des Libanais vers l’étranger aujourd’hui. C’est extrêmement fort de redécouvrir ce chef-d'œuvre en ces temps de crise », commente Nathalie Rosa Bucher.
La ville à l’honneur
Le patrimoine architectural tant admiré de la ville millénaire sera également mis à l’honneur, le 26 avril. « Tripoli est un personnage de film à elle toute seule, avec un caractère et une identité propre », s’exclame-t-elle. Ainsi, Rania Attieh et Daniel Garcia explorent l’aspect apathique de la ville à travers les pérégrinations d’un fils à maman tripolitain. Sur une note plus positive, la foire internationale d’Oscar Niemeyer aura son moment de gloire dans Black Mouse d’Ahmad Naboulsi (2021). « Pour beaucoup de touristes, c’est un lieu grandiose, mais pour des Tripolitain⋅e⋅s plus âgées, c’est surtout un terrain de jeu qui a marqué leurs enfances », témoigne Nathalie Rosa Bucher.
Le soir suivant, les projecteurs seront mis sur l’œuvre de la réalisatrice Randa Chahal Sabbagh. « Elle a porté un regard extrêmement juste sur la guerre civile et ses vraies causes sociétales, comme les inégalités de l’époque. C’est extrêmement important de redécouvrir ses films aujourd’hui », affirme l’organisatrice.
La ville culturelle
La ville de Tripoli est exsangue après des années de marginalisation forcée, d’affrontements, de pandémie, et de crise économique. Ses 41 cinémas historiques sont aujourd’hui tous fermés ou servent de magasins de DVD, salles de sport, restaurants de falafels, espaces de stockage, cafés… ou même de théâtre. Mais les initiatives telles que l’exposition TripoliScope d’UMAM à Chekka et la rénovation du cinéma Empire par l’Association culturelle de Tyr redorent le blason de Tripoli, qui a jadis été l’ancienne capitale industrielle et culturelle de la région sous l’Empire ottoman, avant que Beyrouth ne la supplante.
*Le programme est encore susceptible d’être modifié
A savoir
Date : Du 25 au 27 avril à 20h30
Prix : gratuit
Lieux : Du 25 et 26 au café Tall el-Olya (au-dessus de la place de l’horloge el-Tall) et le 27 à l’espace culturel Rumman (Mina)
Pour plus d’informations et suivre les activités d’UMAM :
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