Voler au Liban, au chevet d’un malade. Circuler dans le ciel. Quelqu’un a marqué "NO STEP" sur le réacteur. Des fois qu'on voudrait marcher.
La mère. Ses atours lui ressemblent. Cette volonté de briller, d’édifier les autres. De laisser des traces.
Pour sa fille, son adoration n’a d'égale que sa volonté de la mettre au pas. Condamnées, à la fois, à la haine et la passion. Mais la mère a gardé le meilleur pour la fin, maintenant qu’elle a posé les armes.
Elle a vécu sous la férule de l'homme désormais si doux assis à ses côtés. Accroché à ses basques, il dort toute la journée ce qui lui reste à vivre. Un peu sourd ou refusant d'entendre, il vogue à la dérive. Absorbé et pensif, lui qui ne pense plus.
Faut-il lui changer l'oreillette ? Il a répondu :
— Non !
Magnétique jusqu’au bout de l’âme, Beyrouth est une vieille femme dont les histoires remontent à la nuit des temps.
Les silos à blé ne sont qu’une béance de plus.
Au village, le soir, un peu désorientés d'avoir perdu la lune.
La mère sur la photo, dans sa tenue vert d'eau, tâche d'opale évanescente perdue dans le salon. Comme une jeune fille alanguie d'une trop longue attente. Plus loin, le mari, dans sa chemise sans plis, dressé dans son fauteuil et noyé comme elle dans le grand maelstrom.
Tout calme est un répit.
En attendant, au village, la lune s'occupe de naître. Puis le soleil allonge les ombres sur la place. La montagne déroule au loin ses amples plis qui vont du vert sombre jusqu'au bleu du ciel. La place est la table d'un cadran solaire et, planté en son centre, un palmier pour indiquer l'heure qu'il est aux passants.
Sur la baie de Jounieh, la lune a posé sa balancelle.
Effilée par moments comme la lame d'une dague.
La mère a tant rangé naguère que ses jours sont en ordre. Astiqué dans les coins, le temps file au pas.
Déboussolée pourtant, en voiture, elle observe le monde comme un jardin fleuri à son insu. Etonnée de voir qu'il échappe à son contrôle et continue à tourner. Médusée, elle fait son compliment et sa fille revit comme une fleur qu'on arrose.
L'arrière-saison est si exquise qu'elle surpasse l'été. Comme un retour aux sources, ils filent vers le Nord. Sur la carte, au-dessus des silos du port, quelqu'un a marqué : "Fermés temporairement".
Nager à Batroun devant les trois arcades de la citadelle tendue vers la mer. S'ébattre sur les vestiges des mondes engloutis. Se laisser porter par la vague pour humer l'écume des jours. Cueillir, dans les flots mordorés, des galets, ocre verts et striés, pareils à des agates et les serrer contre soi comme les pièces d'un trésor. Sur les portes, les volets, le même turquoise que celui qui danse derrière les arcades de Notre-Dame de la Mer.
Les galets sont la chair éclatée des temps révolus.
Cueillie, la dernière grappe qui pend à la treille. A Qsaibé, la mélasse mousse aussitôt versée. La lumière baisse, les nuits s’allongent, les volets se mettent à claquer. Installé dans son fauteuil, le vieux a pris la parole. Lui, silencieux depuis longtemps, demande, le désignant du doigt :
— Sur quoi donne ce miroir ?
Cependant qu'avec le jour, la fille se retire. Et qu’elle se dirige, à petits pas, vers les affres de la mondialisation.
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