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Ce que Omar Rajeh sème en nous

12/06/2023|Maya Trad

Ce n’est pas sans raison que Omar Rajeh choisit de donner à son spectacle la forme introspective d’une germination. A l’image de ces petits pots de thym et de basilic qui vont venir joncher la scène durant le spectacle, végétaux au stade premier de leur développement qui symbolisent la croissance et la liberté d’exister par eux-mêmes, (et avec lesquels les spectateurs repartiront), il questionne notre droit à la vie et la raison d’être profonde de la Culture. 

En effet, il plante le décor au sens propre et au sens figuré, en entrant sur scène un pot de fleur à la main. « Une plante existe par elle-même et n’a de comptes à rendre à personne… elle EST tout simplement, contrairement à nous, êtres humains qui devons toujours nous justifier d’être comme ci et pas comme ça ». 

 

Théâtral, Omar pose sa plante sur la table et s’attèle derrière son ordinateur pour écrire son spectacle. Il tape, efface, questionne, hésite, remet en page, modifie … Nous voilà donc, nous spectateurs, au cœur de son procédé de création, de son auto-censure, de sa colère. Cette volonté, qui rejoint ce que Omar nomme « The idea of a Bigger Body » est une idée centrale dans le travail de cet artiste dont le travail atteint dans cette performance une puissance, une vérité et une sincérité extrêmement abouties. 

D’emblée, il nous implique nous spectateurs comme élément indissociable de cette introspection, et commence sa pièce en s’adressant à nous. Nous ne sommes pas là par hasard, mais pour une cause, et ce qui se joue sous nos yeux est autant son questionnement que le nôtre. 

 

Les idées qui germent dans sa tête, s’écrivent au fur et à mesure de leur éclosion sous nos yeux. Ce dispositif scénique qui met la page de son ordinateur en élément central, est simple, astucieux, et surtout extrêmement efficace, parce qu’il nous donne à voir un spectacle en construction, tout au long duquel danse et texte s’imbriquent, s’éclairent l’un l’autre et résonnent en nous avec une émotion intense. 

Si l’on n’en ressort pas indemne, c’est que son pari, celui de questionner la raison profonde de notre être, trouve au plus profond de nous sa résonnance, et que le postulat par la négation qu’il pose : Dance is not for us, s’avère être tout le contraire. 

 

Omar Rajeh et Mia Habis, partenaires dans la vie comme dans le monde de la danse  (Maqamat- BIPOD- Citerne Beirut…) n’en sont pas à leur premier spectacle. Le travail de la compagnie Maqamat, compte déjà plus d’une vingtaine de créations dont Beytna et Minaret parmi les plus représentatives, mais celle-ci marque un retour d’autant plus symbolique sur la scène libanaise depuis les 3 années passées en France. Propulsés malgré eux loin du pays en 2019, après le démantèlement autant physique que symbolique de leur dernier projet Citerne Beirut, ce spectacle est l’expression la plus intime d’un parcours personnel. Vital comme un cri de rage et nécessaire comme un remède, il est l’écho des tumultes des 3 dernières années par lesquels eux et le pays tout entier sont passés. 

 

Quand Omar commence à se mouvoir au son des percussions de Joss Turnbull puis de la guitare électrique de Charbel Haber, nous sommes secoués, happés. Ce n’est plus un corps qu’on voit mais l’incarnation d’une cause existentielle, un retour animal à la terre. Le dégout et la rage émanent de ses gestes, il revient à la terre comme un animal qui piétine tout ce qui a été piétiné et enseveli, à la recherche de ce germe qu’il faut à tout prix protéger. La fragilité de tout ce qui reste mais qui peut encore éclore est là entre ces mouvements qui nous touchent au corps et au cœur. Car le corps tel que Omar le danse, n’est pas à la recherche d’un centre de gravité, mais à la recherche de centres de signification. C’est ce qui fait l’attrait et la beauté de son art ou de sa méthode. Il se réapproprie le folklore de la dabké pour nous en offrir l’essence même. Philosophique, existentielle, sa danse est l’expression d’un être en construction, car il ne s’agit pas comme il le dit d’aller à la rencontre de nous-même. « There is no Self, you spend your life creating your self ». So dance is certainly for us… 

 

(Photo @Elizabeth Pearl)

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