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Confessions en temps de guerre : Hoda Kerbage

21/10/2024

Où sont nos acteurs culturels en temps de guerre et que font-ils ?

L’Agenda Culturel est allé à leur rencontre pour les interviewer et les écouter.

 

Hoda Kerbage, auteure, scénariste, réalisatrice.

 

Comment allez-vous?

Aller est aléatoire. C'est une aliénation moderne. C’est une allégorie. Je vais, je viens. Mais tout est figé. Comme deux dimensions qui se superposent sans vraiment se rencontrer. L’une fixe, immobile. Inamovible et l’autre, en mouvement, alerte, sans répit. Ce soir, j’ai décidé que demain, aller, ce sera à la mer. J’ai un besoin urgent, vital, de sentir le sable sous mes pieds. L’eau salée. La vague. L’écume. Je pourrais mourir là, puis emportée par l’eau au plus loin de mon âme. Au plus loin de la guerre. De toutes les guerres. Aller est une métaphore. Revenir est une illusion. Alors je vais sans aller, je reviens sans partir. Comment je vais? Je vais en rêves. Je reviens épuisée. Je ne vais pas. Je déambule dans les rues de ma ville, je voyage dans mon univers, mon imaginaire, mes mots, mes images, mon esprit. Je m’aventure avec mes élèves sur les chemins du monde qu’on invite à nous, dans le cinéma et dans les arts. Je promène mon chien. Mais je ne vais pas. Je reste. Si mon pays reste, je reste avec lui. Si ma terre saigne, je saigne avec elle. Si ma nature brûle, je brûle avec elle. Aller est aléatoire. Rester est héroïque. Rester c’est se battre. Aller est une aliénation. On part en corps mais notre tout ne part pas et on se retrouve déchiré. Aller c’est une allégorie. C’est une promesse de renouveau mais aller c’est un peu la ferme des animaux (le livre) alors je ne vais pas mais ÇA va et vous? Comment allez-vous?

 

De quoi est fait votre quotidien en temps de guerre ?

Je vis plusieurs guerres. J’ai plusieurs « quotidiens » de guerres. La guerre qu'Israël mène contre le Liban. Implacable. Sanguinaire. Violente. Perverse. ALEATOIRE. Rien mais rien ne la justifie. Toute l’illégalité du monde de laquelle on peut nous accuser, n’excuse, en aucun cas, cette guerre-là. Ce n’est pas aux mains d'Israël qu’on veut être libérés de quoique ce soit et je ne veux rien lui devoir. Le quotidien de cette guerre-là est d’adapter mon mode de vie et mes décisions sur l’activité des drones et sur le calcul délicat de la géométrie dans l’espace temporel et géographique. Où est le drone? Proche? Bas? Continuel? Bien on sort. Il s’éloigne? Attention, frappes en vue! On rentre. S'ils bombardent généralement entre minuit et deux heures du matin, alors matin plutôt calme, vite faire les nécessités longues distances et celles au cœur de Beyrouth proches des zones « sensibles ». Si non, ça veut dire, bombardements plutôt matinaux, donc revoir l’agenda du jour.

 

Puis, il y a la guerre que le Liban mène contre le Liban. Plusieurs Libans dans un seul Liban et chaque Liban est convaincu qu’il est le vrai, l’unique, le légitime Liban. Mais on peut être multiples dans un seul Liban et non dédoublés en plusieurs. Cette guerre interne est pire que la première. Dans la première, l’ennemi est clair et détaché de notre Libanité. Dans la deuxième, nous sommes les ennemis de nous-mêmes et les ennemis les uns les autres. C’est une guerre qu’on devrait mener après la fin de la première guerre et sous nos propres conditions et non pas les conditions régionales et internationales. La mener en adultes, armés de notre seule constitution avec pour seul bouclier, la foi en un état de droit, souverain, qui créera une démocratie à notre mesure et non la mesure de l’Occident qui a prouvé une énième fois que sa démocratie est sélective et nous sommes hors sélection. Avec comme seule conviction que notre survie actuelle réside en une période de neutralité politique afin de nous reconstruire mais sans interventions étrangères. Avec pour seule exigence, le droit d’avoir une armée qui a le droit de s’armer à sa guise afin de pouvoir se défendre à ses propres conditions, avec le droit exclusif de décision de paix ou de guerre, sous et avec un président de la République élu et non marchandé et un parlement efficace et fonctionnel. Une armée libérée de la mainmise des Etats-Unis. Une armée à laquelle on rend toutes les armes qui servent aujourd’hui comme défense milicienne. Une armée qui intègre sa résistance, pour devenir en soi, un corps résistant et défendant. Le quotidien de cette guerre là est de s’efforcer à trouver un équilibre entre ses convictions politiques et son sens de l’humanité et de l’humanisme. Accuser ne sert à rien. Excuser non plus. Négocier dur mais pas marchander. Planifier à intégrer l’autre mais pas le vendre. Puis, coûte que coûte éviter une nouvelle guerre civile. Puis il y a l’ombre de la guerre civile qui me visite tous les jours avec son lot de traumas, d’enfance, de souvenirs doux-amers. Cette guerre n’a pas de quotidien en soi. Ce n’est qu'une ombre.

 

Enfin, il y a la guerre personnelle. Celle de l’intérieur, qui bat en tempo avec toutes les autres guerres. Alors mon quotidien est un combat de résistance qui se fait à travers le travail acharné d’écriture et d’images, à travers les cours donnés à mes étudiants en cinéma envers et contre tout et à voir certains d’entre eux être secoués soudain, à travers l’écran de la classe en ligne, entre Dziga Vertov et l'expressionnisme Allemand et la poétique d’Aristote. Ah c’est rien, juste un jet de missiles sur l’immeuble à côté. Continuez le cours Madame, on est vivants. Alors mon quotidien c’est rester connectée au monde, aux miens. Partager. Sensibiliser. Ne pas laisser les images perdre leur visibilité. En parler. Reprendre notre droit à notre propre « Narrative ». Le droit à notre culture basée sur notre Histoire et non implantée par des pouvoirs extérieurs. Inspirée oui d’accord. Mais pas imposée. Aider si je peux, quand je peux, avec les moyens qui sont les miens. Et surtout, surtout m’occuper de mon être afin de pouvoir exécuter tout le reste. Et enfin aimer. Pardonner sans oublier. Se détacher. Les guerres personnelles sont meurtrières et elles alimentent et encouragent les guerres partisanes et militaires. La violence génère de la violence et détruire est si facile et rapide alors mon quotidien, c’est donner de la compassion aux autres, celle que je n’ai pas reçu dans les moments difficiles. Ne pas juger pour l’avoir trop été. Et construire. Construire c’est compliqué, Ça prend du temps. C’est du travail. Mais finalement, je préfère Candide à Narcisse.

 

Continuez-vous votre activité artistique ?

Toujours. Certains projets sont mis en pause bien entendu tels trois courts métrages que je produisais dont l’un d’eux que j’ai écrit et que j’allais réaliser également. Mais l’activité côté photographie est en hausse et en écriture également. Je finalise l’écriture d’un roman qui j’espère sera mon troisième livre publié ainsi qu’un recueil artistique de photographie et textes poétiques. Plusieurs projets de collaborations musicales avec d’autres artistes du Moyen-Orient. Seule la mort pourra, et encore, stopper l’activité artistique. C’est mon oxygène, ma planche de salut. Le salut de mon âme. L’âme sœur de mon cœur. Le cœur de ma vie. La vie qui bat. C’est mon arme de résistance. C’est la plus puissante des armes et je suis une guerrière. (Au cœur de Licorne en ballons rouges et bulles de savon, mais guerrière quand même). Le cinéma est toujours d’une manière ou d’une autre politique. L’Art et la culture également. C’est une farouche résistance qui pose les piliers des changements sociaux. C’est une responsabilité.

 

Comment envisagez-vous l’avenir du Liban ?

J’essaie de ne pas envisager. J’ai appris que l’incertitude et la projection desservent la politique et l’avenir. Il fut un temps où j’ai beaucoup vécu dans le passé. La nostalgie, c’est romantique mais elle ne permet pas d’évoluer et d’avancer. Il faut apprendre du passé et puis le laisser s’enfuir. Il fut un autre temps où j’ai beaucoup vécu dans le futur. A me projeter, planifier. Tout paraissait faisable et étudié mais c’est une chimère mais qui ne permet pas d’évoluer et d’avancer. Juste de brûler des étapes. Il faut imaginer les potentiels avenirs mais puis attendre qu’ils soient façonnés par le temps.

Reste donc le présent. Je préfère envisager le présent du Liban. Envisager ce présent et le lire adéquatement à travers toutes les perspectives et les comportements et les évènements pour oser prudemment parier sur un probable avenir. Pour l’instant, j’envisage deux possibilités majeures: qu'on ne sache pas lire ma société et culture d’aujourd’hui de notre pays et donc refaire les mêmes erreurs et malheureusement, ça me paraît le cas. Ou bien, prendre le temps de bien lire et agir en conséquence, c'est-à-dire, sortir du daddy and mommy issues et compter sur nous-mêmes. Non, la France n’est plus notre mère. Mais elle peut être une alliée si l’alliance sert les intérêts de NOTRE pays et non d’une communauté ou d’une poignée de personnes. Non, les Etats-unis ne sont pas nos tuteurs légaux. Mais ils peuvent devenir des alliés si leurs positions envers les abus d'Israël sont fermes et à condition qu’ils ne nous imposent rien. Non, l'Iran n’est pas notre guide suprême. Mais il peut devenir un allié s’il se tient tranquille et n’interfère pas dans nos affaires politiques et militaires et ne nous entraîne pas dans sa folie des grandeurs. Oui Israël est notre ennemi. (Pas les juifs) Et tant que ce pays représente le projet sioniste expansionniste, il est un danger et c’est notre ennemi. On ne va pas le chercher, il ne vient pas nous chercher. Oui, la Palestine a droit à son indépendance, à ses terres, à un État autonome, militarisé comme tout autre État, à des compensations énormes, avec le droit légal de se défendre et de chasser chaque colon. On aurait fait pareil à sa place. Nous devons nous réunir et poser les conditions patriotiques de chaque côté de cette société. Quelles sont les concessions possibles et quelles sont les lignes rouges? Pas les conditions partisanes ou confessionnelles. Puis définir ce qui nous réunit et ce qui nous divise. Sans passer des coups de fils chacun à son pays ingérant, référentiel ou ultime décisionnaire. Et prendre la bonne décision. Soit un état de droit, laïc, constitutionnel avec aucune ingérence extérieure ou religieuse et communautaire intérieure, basé sur notre seule constitution revue et modernisée, avec des représentants des différentes communautés qui font parvenir au parlement leurs doléances mais ne les imposent jamais. Avec des institutions gérées et contrôlées par l'État même en sous traitance privée. Avec une justice sociale. Avec une enquête sur l’explosion du port de Beyrouth.

Avec une armée souveraine sur tous les plans, avec zéro autre groupe armé. Un tribunal indépendant dans un corps de lois et l’application de ces lois. Il y a beaucoup de bonnes lois au Liban. Le problème c’est la corruption du gouvernement et des citoyens qui empêchent leur exécution. Notre multiplicité est notre force. Aujourd’hui, elle est encore notre faiblesse. Soit, si c’est impossible et que la réalité est loin, loin de cela, c’est probable qu’ils divisent le pays en forme de fédération. Ce serait si triste. Ce serait avoir laissé notre égoïsme, notre ego, nos entêtements, nos loyautés étrangères gagner et prendre le dessus. Pour moi, c’est avoir perdu. Car le jour où les autres pays n’ont plus besoin de nous, ils vont nous le rappeler, tourner le dos et partir. Mais notre terre, elle, elle reste. Elle garantit notre dignité et je n’envisage aucun avenir sans dignité.

 

Pour tromper la peur, que suggérez-vous à nos lecteurs comme :

Avant tout, je suggère de ne pas tromper la peur. C’est la peur qui nous trompe toujours. Elle nous perd et le prix à payer est cher. Donc je suggère d’avoir peur. Ce n’est pas grave d’avoir peur. Ce n’est pas une faiblesse. Parfois avoir peur nous permet de prendre les bonnes décisions au bon moment. Elle peut nous sauver. Alors si vous avez peur, ayez peur. Reconnaissez la peur. Mettez un nom dessus. Acceptez-la. Elle existe. Admettez-la. C’est une émotion comme une autre. A trop la tromper ou la nier, elle ressurgira de manière incontrôlable un jour. A quoi bon transformer de notre plein gré une source d’eau claire en ouragan? Ayez peur, reconnaissez la peur. Alors vous l’apprivoiseriez. Pas besoin de la tromper. Pas besoin qu’elle nous trompe. C’est ma suggestion. Ça vaut ce que ça vaut. Je suis insaisissable et dansante. Ma suggestion est juste un écho dans le vent. Ce n’est pas une vérité. Ni un conseil. Ni une affirmation. Ah, regardez, elle est déjà loin, caracolant vers les nuages!

 

Livres :
L’orientalisme de Edward Said.
Le Prince de Machiavel.

La démocratie en Amérique de Alexis de Tocqueville.

Don Quichotte de Cervantes.

La ferme des animaux de Georges Orwell.

Tout Nietzsche.

Tout Voltaire.

Tout Victor Hugo.

Le voyage d’Anna Blume de Paul Auster.

Tombuctu de Paul Auster.

Sur la route de Jack Kerouac.

Tout Ghassan Kanafani.

Le petit Prince de Saint-Exupery.

Alice au pays des merveilles de Lewis Caroll.

Tout Wajdi Mouawad notamment ANIMA.

Anais Nin.

Des bandes dessinées, plein de bandes dessinées.

Des livres pour enfants.

Le loup des steppes de Hermann Hesse.

OmarKhayyam.

Tout Elias El Khoury en arabe.

Histoire de Beyrouth de Samir Kassir.

L’art de la guerre de Sun Tzu.

De la poésie.

Le discours de Jacques Chirac donné à l’ONU contre la guerre en Irak.

 

Séries
Je préfère lister des films. Promis, des pas trop lourds.
Children of men d'Alfonso Cuaron.
The thin Red Line de Terrence Malick.
The tree of life de Terrence Malick.
Arizona Dream de Emir Kusturica.
Unprophète de Jacques Audiard.
El secreto de sus ojos de Juan Jose Campanella.
Tous les films de Ghassan Salhab.
Tous les films de Maroun Baghdadi.
Tous les films de Elia Suleiman.
Hiroshima mon amour de Alain Resnais et Marguerite Duras.
Wings of Desire de Wim Wenders.
Bombon el perro de Carlos Sorin.
Beautiful de Alejandro Inarritu.
Des hommes et des Dieux de Xavier Beauvais.
Parasite de Bong Joon-Ho.
Paradise now de Hani Abi Assaad.
OmardeHani Abou Assaad.
3000 nights de Mai Masri.
The teacher by Farah Nabulsi.
Gaza mon amour de Mohammad and Ahmad Abou Nasser.
Des documentaires. Plein de documentaires produits par toutes parts, tous côtés pour comprendre ce qu’on vit et se faire NOTRE idée et non celle qu’on nous insuffle.

Œuvres musicales :
Ah la musique… non c’est trop personnel la musique. Je ne peux rien recommander c'est trop intime. Chacun ce qui le fait vibrer et ressentir. Ce qui le calme et le galvanise. Moi ça peut varier de l’opéra à la musique classique, au tarab, aux chansons à textes, aux variétés, à la pop, au rock… mais je vais essayer: Je pense qu'en ce moment, ce qui m’emporte, c’est The Moldau de Smetana. Si je meurs, je voudrais que ce morceau accompagne mon âme. Sinon La chanson de la mort de de Don Quichotte de Ibert ou le requiem de Mozart la No1, Introitus. Stabat Mater de Pergolesi par Emma Kirkby, le Ave Maria de Schubert par Jessye Norman. Music for a while de Purcell par Sylvia McNair, Les Gnossiennes de Erik Satie. Le theme musical du film in the mood for love de Wong Kar Wai. Yann Tiersen. Holm de Emel Mathlouthi. Noir Désir. (Notamment A ton étoile avec Yann Tiersen) Nick Cave. En voix Libanaises, Oumeima Al Khalil, Lena Chamamyan, Rima Khsheish, mon ami Fady Jeanbart. En voix palestiniennes, Rasha Nahas, Rim Banna, Faia Younan, Sana Moussa ou Elyanna une jeune extraordinaire surtout avec sa chanson Olive branch. Et puis mon ami Ismail El Nimr, jeune jeune et dans une tente car il a tout perdu mais pas sa voix. Il chante tous les jours avec ses amis et les enfants du camp, à Gaza.

 

Podcasts :
Le mien! Bientôt!

Un dernier mot ?
On n’est sûrs de rien vraiment. Un certain mot dit à un moment quelconque peut tout changer. Un discours, une déclaration de guerre. On n’est sûrs de rien que d’une chose. L’amour qu’on ressent qu’on donne et qu’on reçoit. L’émotion. L’intuition. Le mot est une arme. Utilisez-la bien. L’image est un voyage. Poursuivez-le bien. La musique est une éternité. Ecoutez-la bien. Nous sommes des cendres en poussières d’étoiles. Ne devenons pas des cendres en sable mouvant et lorsque tout est éphémère, moi je deviens insaisissable. Et vous?

 

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