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Hubert Sacy : « Ni diaboliser, ni banaliser l’alcool »

10/01/2024|Gisèle Kayata Eid

Dry January. Un mois de sobriété absolue que préconise un mouvement né il y a dix ans en Grande Bretagne et qui a bien vite fait de gagner les grandes capitales. La question qui se pose : Les excès d’alcool durant le temps des fêtes sont-ils absous par un mois d’abstinence ? 

 

Pour en avoir le cœur net, nul mieux que Hubert Sacy pour y répondre. Aux commandes d’Educ’Alcool, un organisme québécois qu’il a dirigé pendant plus de 30 ans, l’expert international en matière de prévention, d’alcoolisme et de toxicomanie, s’est donné pour mission de passer de la culture de l’excès à la culture du goût en matière d’alcool, avec pour mantra « La modération a bien meilleur goût », slogan de ses nombreuses campagnes publicitaires. 

« Sobre » rencontre autour d’un chocolat chaud, en ce janvier « sec » (mais très froid), avec un communicateur, juriste de formation (diplômé en droit de l’USJ), passionné, systématique et rudement ouvert d’esprit.   

 

Que pensez-vous de l’initiative Dry January ?

Depuis quelques années, on observe une tendance à transformer tous les débats de société en extrêmement blanc ou extrêmement noir, pas de place pour le gris. Il devient difficile de transmettre un message équilibré, modéré.  Concernant l’alcool, il faut considérer trois éléments fondamentaux :

1 - Chaque personne est unique, pas de recette-moquette qui s’applique à tout le monde. Si dans notre famille, on a un ADN, un historique de cancer du sein, nous ne pouvons pas avoir la même relation avec l’alcool que si on avait des antécédents de problème cardio-vasculaires. L’alcool augmente les risques de cancer mais a aussi un effet protecteur (pas absolu) sur les maladies cardio-vasculaires. 

2 - Chaque circonstance est unique, si je prends deux verres sur un estomac vide, ce n’est pas une bonne idée, alors que si je les prends le soir au diner, c’est différent. Pourtant je suis la même personne, j’absorbe la même quantité, mais le contexte varie. 

3 - Enfin, le risque zéro n’existe pas.  Chaque chose qu’on fait comporte des risques, ce n’est pas une raison pourtant de ne plus rien faire. Ce serait un raisonnement absurde. Chaque verre augmente le « risque » du cancer. Or le risque est une notion relative. On ne peut pas isoler chaque facteur de la vie. On ne peut pas rester chez soi pour ne pas risquer d’avoir un accident, cela augmenterait les risques liés à la sédentarité par exemple. 

 

Le Dry January aurait-il un effet quelconque ?

Ça dépend. Si c’est une façon d’aller en confession et se dire « j’ai trop pêché, je vais faire abstinence », oui; mais si c’est un prétexte pour boire comme un malade les autres 11 mois de l’année, ce n’est pas bon. En Angleterre, le premier février est le jour où il s’achète le plus d’alcool, en compensation du Dry January ! Si vous consommez modérément, que vous n’êtes jamais saouls, un mois sans alcool ou non ne va rien changer. Si cela aide à prendre conscience qu’on peut vivre sans alcool, tant mieux. Ce qui est nocif c’est de croire que c’est la panacée pour compenser les autres 11 mois. C’est comme faire un régime draconien. Or le corps reprend ses droits au bout de deux, trois mois. C’est une question d’équilibre. L’idée de base est qu’il ne faut pas boire beaucoup d’alcool, il faut se mettre des limites.

 

L’abstinence occasionnelle n’est donc pas bénéfique pour les grands buveurs ?

Notre corps ne répare pas le mal que l’alcool lui a fait. C’est fini. Ce qui a été abimé dans le corps reste abimé. Ce n’est pas comme le tabac. Quand on a fumé pendant des années et qu’on arrête de fumer, au bout d’un certain temps, le corps récupère. Pour l’alcool, il n’y a pas d’effets rétroactifs. En consommation excessive, il laisse des séquelles qui restent là. Le risque d’attraper des maladies ne s’efface pas. 

 

Comment trouver le juste milieu ?

Le risque est là. La vie est là, c’est à nous de faire des choix. Si on dit aux gens ne buvez pas, on diminue le risque de maladie à long terme, mais on se prive de certains nombres de choses : 

1 - L’alcool est un lubrifiant social. 

2 – Pour ceux qui l’apprécient, il a bon goût. 

3 – Il contribue à la bonne qualité de vie, pour ceux qui en consomment intelligemment.

4 – C’est un élément civilisationnel, 

5 – Il a un effet protecteur contre les maladies cardio-vasculaires. Il s’est même avéré, d’après les statistiques que les consommateurs modérés ont une espérance de vie plus longue que les abstinents à vie.   

 

Comment déterminer quand la consommation est encore bénéfique ?

L’alcool n’est pas un médicament. On ne boit pas d’alcool pour des raisons de santé. On consomme de l’alcool parce que c’est plaisant, en faisant en sorte qu’il ne nuise pas à la santé.   On ne peut pas tracer des limites universelles. Chaque cas est isolé. 

 

Que se passe-t-il quand on abuse de l’alcool ?

Le foie métabolise l’alcool au rythme de 15 mg par heure, il agit comme un entonnoir. Si on en consomme beaucoup, il va y avoir accumulation et l’alcool reste alors longtemps dans le corps et c’est là qu’il commence à nuire. L’alcool déshydrate. Si on urinait le tout directement ou si la consommation est étalée sur six heures, le foie métaboliserait l’alcool et l’éliminerait.  Il n’y aurait pas « d’embouteillage ». Le truc pour éviter le binge drinking, la consommation rapide et massive, c’est d’alterner un verre d’alcool avec un verre d’eau. De toutes façons, il est préférable de boire plus régulièrement de petites quantités que de grosses quantités occasionnellement.

 

Que pensez-vous des études scientifiques déconseillant même un seul verre d’alcool ? 

Il faut savoir que la recherche scientifique n’est pas une parole d’évangile, un dogme absolu. Elle évolue. Toutefois, ces recommandations ont été édictés par des scientifiques idéologues qui sont partis de 4300 études. Ils les ont toutes éliminées pour n’en garder que 24 qui font leur affaire. Parmi ces dernières, seules quelques données extrêmement limitées ont été retenues … Comme pour faire du terrorisme. Elles ne sont pas sérieuses, d’ailleurs Santé Canada ne les a jamais endossées. La science dit : « si vous faites ce choix, vous encourrez un risque ». Le risque ce n’est pas une fatalité mais une possibilité. Il faut faire un choix de vivre avec une meilleure qualité de vie mais peut-être moins longtemps. En fait, il ne faut ni diaboliser, ni banaliser l’alcool. À chacun de choisir sa ligne de conduite, en fonction de ce qu’il sait. 

 

Il y a pourtant des normes qui sont établies.

Oui. Elles ont été colligées sur toute la planète puis ont été validées par trois scientifiques internationaux sur trois continents différents qui n’avaient aucune couleur idéologique. La limite absolue est de 7 verres par semaine pour les femmes et 10 pour les hommes. Ces chiffres étaient 10 et 15 avant que des recherches récentes ne prouvent qu’on avait sous-estimé les risques liés au cancer.  Cela ne veut toutefois pas dire qu’on va faire un cancer si on dépasse cette limite, mais on va augmenter le risque d’en faire.

 

Est-ce vrai qu’il vaut mieux consommer une bonne bouteille plutôt qu’une de piètre qualité ?

Il y a deux façons d’aborder la consommation d’alcool : le goût et son effet.

1 – L’alcool est un psychotrope. Si on recherche l’effet, l’euphorie qu’il provoque, on va boire souvent, au début moyennement pour atteindre cet effet, puis à mesure qu’on s’y habitue, on va boire de plus en plus pour retrouver cet effet euphorisant et enfin on va prendre n’importe quoi, « qu’importe le flacon pourvu qu’on est l’ivresse ».

2 – Quand on cherche le goût, d’abord, on raffine son palais, on déguste, donc on boit lentement. On boit peu parce que si on boit beaucoup, on perd le goût, alors que si c’est lui qu’on recherche, la dernière chose à faire c’est anesthésier ses papilles. Enfin, plus le produit est de qualité, plus il coûte cher et plus il coûte cher, moins on a les moyens d’en acheter beaucoup.

 

Du point de vue alcool absorbé, est-ce pareil quelle que soit la qualité du produit ?

L’effet de la molécule chimique d’alcool est le même quelle que soit la qualité du produit. Elle est exactement la même dans le vin, la bière, les spiritueux. Dans un litre de bière, il y a moins d’alcool que dans un litre de vin, et dans un litre de vin, moins que dans un litre de whisky. C’est pourquoi les verres de bière sont plus grands que les verres de vin, eux-mêmes plus petits que ceux des spiritueux. Toutefois, si on boit un vin à 12 % d’alcool, ce n’est pas la même chose qu’un Amaroni à 16 % d’alcool. 

Il faut retenir le chiffre 60 pour calculer un verre d’alcool. Pour un alcool de 5 % (les bières sont en général à 4,5 % d’alcool) on peut aller jusqu’à 12 onces (une once équivaut à 30 ml environ). Pour un vin à 12 %, on ne devra pas dépasser les 5 onces. Pour un scotch (ou tout autre spiritueux) à 40 %, la limite serait une once et demie. Il faut se connaître et connaître le produit. De toutes façons, il ne faut jamais aller au-delà de cinq verres.

 

Y a-t-il des pays plus consommateurs que d’autres ?

Plus on est au Nord, plus on consomme. Les pays scandinaves boivent énormément. En France, en Bretagne et en Normandie on consomme plus que dans le Sud où les gens ont apprivoisé le phénomène. Mais partout aujourd’hui on a une tendance à « l’anglosaxonisation » de l’alcool et à s’inscrire dans la culture de l’excès. 

 

Les jeunes sont-ils plus alcooliques ? 

Pas vraiment, les millennials sont plus conscients des effets négatifs de l’alcool. On constate plutôt une tendance : ils sont totalement abstinents en semaine, mais quand ils sortent en boîte, ils boivent beaucoup. Ils sont plus sensibilisés sur le plan social mais pas sur le plan médical. Ce n’est pas en disant à un jeune « c’est mauvais pour ta santé » qu’il va moins boire, mais quand on lui dit « tu vas être moins bien vu par tes copains, ou tu vas faire un accident ou que tu vas briser une amitié parce que tu as fait l’imbécile, ou que tu as eu des comportements inappropriés ou que tu as fait du harcèlement sexuel ». Eux ne pensent pas à la mort, ils veulent avoir du plaisir maintenant et se disent qu’ils arrêteront quand ils auront 50 ans. Il y a aussi l’effet grégaire. Certains jeunes font semblant d’être ivres pour seulement faire partie du groupe. C’est un phénomène très, très difficile à combattre. Heureusement il y a aussi des jeunes qui s’assument et disent « je ne bois pas ». C’est d’ailleurs drôle de devoir toujours justifier pourquoi on ne boit pas. Justifie-t-on à chaque verre pourquoi on boit ?  

 

Qu’est-ce qui justifie l’interdiction de vendre de l’alcool aux moins de 18 ans ou même 21 ans parfois ?

L’alcool nuit au développement du cerveau, notamment au lobe occipital qui se développe dès 14-15 ans. C’est celui des sensations fortes, la recherche du risque et du danger, les émotions puissantes et violentes. Donc il faudrait interdire l’alcool aux jeunes jusqu’à 23 ans, si on doit suivre la science pure, ou du moins commencer à en consommer le plus tard possible et sous surveillance parentale. Il est important pour les parents de garder le contact, de les initier eux-mêmes plutôt que de laisser ça à leurs amis. Il faudrait leur parler, négocier avec eux s’ils veulent absolument consommer. Faire des « deals ». Par ailleurs, si le jeune voit ses parents boire, il sera porté à le faire.

 

L’État devrait-il prendre des mesures pour réduire la consommation d’alcool comme il le fait pour le tabac ?

Le tabac et l’alcool ne sont pas du tout pareils. Il n’existe pas de consommation de tabac à faible risque. Chaque bouffée de cigarette est nocive dans l’absolu. Pour l’alcool c’est différent. Sa consommation modérée peut augmenter l’espérance de vie mais quand elle devient forte, elle est mauvaise.

Par ailleurs, nos recommandations aux producteurs de vin vont dans ce sens : « Vaut mieux avoir de bons consommateurs plutôt que de gros consommateurs ». Il ne faut pas rentrer en conflit avec les lobbies de vin. Cela a toujours été mon principe. Ils ont pour objectif de vendre, leur intérêt est de ne pas créer des consommateurs dépendants et excessifs parce que cela nuirait à leur image et à leur chiffre d’affaires. Mon principe est qu’il n’y a pas d’interdiction, de veto ou d’exclusion. Chacun peut faire partie du problème et de la solution. Voir tous les autres comme des adversaires ne sert à rien. Vaut mieux en faire des partenaires. Choisir la moins mauvaise des solutions. Il faut considérer le résultat. La perfection n’existe pas.

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