Dans le rôle de Roula la mère tourmentée, Julia Kassar en plan rapproché fume, ressasse et malmène Alya (jouée par Nawal Kamel) et son mari (interprété par Pierre Dagher), respectivement femme de chambre et jardinier. Les scènes de la vie quotidienne se succèdent, semblent être répétées depuis des années, tandis que l’intrigue avance : la fille, affranchie du domicile familial, est tour à tour espérée et détestée. La mère s’inquiète, du présent et de l’avenir de cet enfant à qui l’on a tout donné pour qu’il réussisse, à qui l’on a souhaité le meilleur qu’il puisse advenir, celui-là même qu’on a poussé à aller découvrir un ailleurs plus fertile au bonheur, et qui finalement s’y est plu. Et quand il est question d’un potentiel retour au berceau parental, cette même mère se languit, guette, et puis désespère. L’enfant a déserté. Et peu à peu, le chagrin et la solitude laissent leur place au cynisme et aux remords : “Je la comprends, je ne pouvais pas supporter ma mère non plus”.
A cela faut-il ajouter l’inévitable cohabitation avec une autre famille, qui n’est autre que le personnel de maison. Si proches et pourtant si éloignés, la gouvernante est à la fois confidente et dédaignée. Et pourtant, Roula ne peut s’empêcher de les jalouser : eux sont actifs, quand elle erre en pyjama toute la journée, eux sont complices quand son mari est absent et, surtout, eux voient leur fille leur rendre visite et partager des moments de vie, en famille.
Épaulée par Mélanie Akoka à la direction photographique, la réalisatrice choisit une pellicule 16 millimètres, des zooms très seventies et des couleurs primaires pour raconter, en 24 heures dans la vie d’une femme, ce que la parentalité a de sempiternellement dramatique, le paradigme de l’enfant aimé et choyé devenu un adulte émancipé et absent. Si le sujet est universel, son illustration y trouve pourtant une spécificité bien libanaise, à l’heure où la jeunesse du pays s’exile massivement à la recherche d’un avenir meilleur.
Le film a été nominé dans de nombreux festivals au Canada, aux États-Unis, en Italie et au Liban, et est désormais disponible sur Vimeo au lien suivant :
Isabelle Mecattaf planche aujourd’hui sur son premier long métrage, To2borne (May You Outlive Us dans sa version anglophone), un film sur le quotidien d’une famille après la double explosion du port de Beyrouth du 4 août 2020. Autour des banalités de la vie, peut on alors sentir ce que signifie vivre en capitale libanaise, dans un climat fait de résilience et de survie. Le tournage de cette coproduction franco-libanaise est prévu pour septembre prochain, à Beyrouth, tandis que la réalisatrice planche toujours sur son script. Et alors qu’elle y avait été sélectionnée pour Beity, en 2021, les équipes du Toronto Independent Film Festival ont proposé à la réalisatrice de participer à leur “filmmaker lab” pour cette édition 2022. Chaque année, vingt réalisateurs du monde entier (dix du Canada et dix de l’international) sont choisis pour cinq jours de festival aux cours desquels ils pourront rencontrer et échanger avec des professionnels du cinéma autour de leur nouveau projet. L’occasion pour Isabelle Mecattaf de perfectionner son scénario et de partager avec les talents d’aujourd’hui et de demain.
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