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LES MYSTÈRES DE LA MAISON LIBANAISE

15/10/2024|Ramzi Salman

La maison libanaise, si charmante dans sa simplicité, sa triple arcade et son toit en tuiles rouges, est le bâtiment emblématique du Liban, un bâtiment chargé de messages invisibles, qui attise notre curiosité et nous fait rêver.

Rares sont ceux de notre génération qui ont eu la chance de vivre et de grandir dans ces maisons appartenant à une autre époque, qui avaient été construites et habitées jadis par d’autres Libanais, nos aïeux, plusieurs dizaines d’années avant notre arrivée .

Dans le Liban d’aujourd’hui se juxtaposent différentes architectures qui sont apparues à différentes époques de notre histoire, certaines harmonieuses et enchanteresses, d’autres incohérentes et laides ...

Ces architectures se sont enchevêtrées au fil du temps, les unes avec les autres, créant notre environnement chaotique d’aujourd’hui, souvent hideux et mal fichu ...

À travers le moyen âge, et même après, jusqu’au début du 19ème siècle, l’intérieur de nos villes était principalement composé de maisons à cour, habitations repliées sur elles-mêmes, conçues pour protéger l’intimité du foyer des yeux indiscrets.

L’extérieur de ces maisons était composé de murs fermés, offrant de rares fenêtres, et formant des dédales de rues et de ruelles pas très accueillantes pour le passant, mais suscitant le goût du mystère et de la surprise .

L’apparence extérieure de ces habitations était délabrée, fermée, et dénuée d’ornements.

Le cœur de la maison était la cour, autour de laquelle toutes les pièces étaient disposées, et au sein de laquelle la vie de famille se déroulait. Le noyau familial était ainsi très soudé; cette forme d’habitat contribua sans doute à renforcer la nature cohésive de la famille libanaise.

En ces temps-là, la ville libanaise  était une ville ‘arabe’, car elle ressemblait aux autres villes du monde arabe et islamique.

En dehors de la ville, dans la campagne et les régions agricoles, il existait une autre architecture, paysanne et basique, construite à la brique de terre enduite, aux murs épais, finie à la chaux, et dont les plafonds étaient soutenus par des troncs d’arbres en guise de poutres.

Cette authentique habitation paysanne est aujourd’hui rare à trouver, mais il en reste encore quelques une dans la Békaa et les régions rurales.

Après le moyen-âge, au début de 15ème siècle et jusqu’au 19ème , apparut une remarquable et riche architecture qui se développa sur tout le territoire libanais durant les 400 années de l'occupation ottomane, pour constituer l’architecture traditionnelle libanaise.

Ces 400 années devinrent l’âge d’or de l'architecture libanaise.

Au début du 15ème siècle et sous l’impulsion de l’émir Fakhreddine II, le Liban s’ouvrit sur le monde occidental.

Fakhreddine II développa des relations commerciales et culturelles avec le Duc de Toscane et plusieurs pays d’Europe, faisant venir des architectes de ces pays qui participèrent à la création de cette nouvelle architecture qui se révélait d’une richesse et d’une simplicité extraordinaires.

Ce nouveau langage architectural se créa ainsi durant le règne des émirs Maan et continua à se développer durant le règne des émirs Chéhab, produisant les plus beaux édifices du patrimoine architectural libanais, dont chaque Libanais est aujourd'hui fier.

Des palais merveilleusement décorés, des hammams aux multiples coupoles, des caravansérails et des khans majestueux dont les cours intérieures, plantées et ombragées autour de leurs fontaines amenaient une note de fraîcheur aux voyageurs qui y trouvaient des oasis de paix.

Les joyaux de cette architecture libanaise furent les palais de Fakhreddine II à Deir el Qamar et Saida, des Joumblatt à Moukhtara et Baadarane, des Khazen dans le Kesrouan, des Chéhab à Rachaya, des Abillama dans le Haut Metn, des Hamadé à Baakline et de l’émir Bashir et l’émir Amine à Beiteddine.

S’ajoutent à ces palais, des abbayes, des mosquées, des khans, des hammams, des magnaneries de soie, et beaucoup d’autres édifices répartis à travers tout le pays et particulièrement dans les villages du Mont-Liban.

Mais où se situe la maison libanaise dans toute cette histoire ?

La maison dite ‘libanaise’ est différente des palais et des édifices de cette époque; elle est bien plus simple et plus réduite en taille.

On pourrait la résumer à un cube, une triple arcade, et un toit en tuiles rouges. Avec des variations …

Cette maison ‘libanaise’ n'est apparue qu'au dernier siècle de cet 'âge d'or', c'est à dire au début du 19ème siècle, environ 3 siècles après Fakhreddine II.

Apparaissant d’abord dans la capitale et sur le littoral, pour se propager par la suite dans la montagne et quasiment dans tous les villages libanais.

Pourquoi est-t-elle apparue au début du 19ème siècle et pas avant ?

Car la maison libanaise était l’habitation de la bourgeoisie. Et ce n’est que lorsque les années d’échanges économiques et culturels avec l’Occident atteignirent leur apogée, que la riche classe bourgeoise de commerçants et de négociants devint substantielle et bien établie.

Et c’est l’ouverture sur le monde de cette classe bourgeoise qui produisit la maison libanaise. Cette ouverture sur le monde transforma ainsi le modèle d’habitation libanais ; les bourgeois aisés ne voulaient plus se recroqueviller ni vivre cachés.

Et naturellement, leur habitation voulut également se montrer et s’ouvrir sur le monde extérieur. Cette nouvelle attitude sociale porta ses fruits avec la création de la maison libanaise.

Et comme on le sait bien, les libanais adorent se copier, se surpasser et s’outrepasser,  ils créèrent alors beaucoup d'intéressantes variations sur ce même thème.

Ainsi la nouvelle maison libanaise se propagea très vite et un peu partout dans le pays avec ses variations; la triple arcade, la galerie, les vérandas, les escaliers, les tonnelles, les 'mandalouns' et beaucoup d’autres éléments architectoniques qui furent inventés, copiés, améliorés et utilisés avec goût et toujours dans une simplicité raffinée.

La triple arcade fut un élément probablement importé des maisons vénitiennes et embelli avec l'introduction de modifications orientales.

Le mandaloun, double fenêtre soulignée par un bac à fleurs provenait également d’un élément similaire de l’architecture italienne où la femme apparaissait à cette double fenêtre, à l’appel de son amoureux qui lui jouait de la mandoline pour la courtiser, d’où fut dérivée l’appellation de ‘mandaloun’ .

Les tuiles rouges furent importées de Marseille vers la fin du 19ème siècle car elles résolvaient le problème de la mauvaise étanchéité des terrasse horizontales et de leur difficile entretien.

Elles se propagèrent ainsi sur les maisons existantes et toutes les nouvelles habitations .

La maison, au lieu de rester repliée sur elle-même, s’ouvrit avec une superbe triple arcade sur la vue et le paysage.

Au lieu de se doter d’une cour centrale, la maison fut conçue avec un hall central, préservant ainsi en son centre, l’importance du noyau familial.

D’un mode de vie discret et introverti, on passa à une vie ostentatoire et extravertie.

Composée de 1, 2 ou 3 étages, la maison libanaise abritait, écurie et cave au niveau du sol, et la famille aux niveaux supérieurs qui furent nobles et soignés.

Les maisons libanaises furent ainsi toutes construites durant ce 19ème siècle et jusqu’au début du 20ème à la naissance de l’architecture moderne qui accompagna la révolution industrielle.

Alors la maison libanaise en fin de compte c’est quoi ?

C’est d'abord une habitation, un objet, une chose monolithique qui surgit et se développa durant un siècle et qui refléta avec beaucoup de sincérité les caractéristiques de notre petit peuple libanais; du raffinement, de la simplicité, de la sophistication, un goût pour l’ouverture et l’échange avec l’extérieur, un désir de se faire voir, le sens de la famille, la recherche de la beauté et la poursuite ultime de la joie de vivre.

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