Il y a des moments où l’arrachement devient nécessaire, quand il s’agit de sortir d’un choix qui n’est plus porteur de vie. La gestion de ses avoirs bancaires, des retraits et des dépôts, si l’on a encore quelque chose à déposer, n’est pas de l’ordre de la vie. La gestion n’est pas la vie. Alors, on choisit de partir, pour être dans la vie, pas dans la gestion. Et même dans cet élan de vie, douloureux avec tous les renoncements qu’il suppose, on se retrouve interdit. Interdiction de voyager. Interdiction de s’exprimer. Interdiction d’envisager. La banque a tranché. Laissez-moi partir ; je veux aller chercher du travail à l’étranger, je dois travailler. Laissez-moi partir. Donnez-moi mes fonds ; transférez-en une petite partie que je puisse payer le logement là-bas, augmentez un peu la limite pour deux trois semaines le temps de s’organiser». Niet.Niet.
Niet. Devant le niet, trouver une alternative, faire le pas de côté. Voici l’autre face de la révolution : le pas de côté vs le lamento. Comment trouver un peu d’espace vital en dépit du blocus ? Acceptation, puis le pas de côté. Comment contourner le rétrécissement des horizons, le chômage forcé ? Certains prennent des cours en ligne - si la carte de crédit autorise le paiement - ou des cours à la faculté - quand elle est ouverte - d’aucuns vont skier, des femmes font à manger aux manifestants - s’il y en a encore - certains vont filmer. Valable seulement pour ceux qui n’ont pas le souci immédiat du pain à gagner, ou pour ceux qui ont choisi de ne pas se préoccuper aujourd’hui, de demain, pour des raisons qui leur sont propres. Parfois juste parce que porter le fardeau du souci de demain les tue. Ils ont choisi chacun à sa manière la créativité, corollaire du pas de côté. En cela, c’est déjà une révolution. Sauf que même la créativité se nourrit d’ailleurs. Il faut pouvoir vagabonder dans son corps et dans sa tête pour imaginer autre chose, pour entreprendre, pour écrire, pour créer... Pour vagabonder, il faut avoir l’esprit libéré du souci premier de la sécurité. Et pour vagabonder dans sa tête, il faut au préalable avoir vagabondé dans son corps, réellement. C’est le réel qui nourrit l’imaginaire.
Interdiction bancaire de voyager, de vagabonder.
Alors, à défaut de pouvoir chercher la douceur, l’aventure, à l’autre bout de la terre, la chercher chez soi, en soi, dans la lecture, dans l’écriture, même si selon le proverbe « l’église la plus proche ne guérit pas ». Défier les proverbes. Cela aussi est révolutionnaire. Explorer le pays. Il suffira d’une maison d’hôtes chaleureuse, enmontagne; un refuge dans la nature. Les maisons d’hôtes ne seront pas chaleureuses ; elles n’ont pas baissé leur prix d’un iota en geste d’adaptation à la crise, pour accueillir les leurs. Pourquoi le feraient-elles, si elles font le plein, expliquent les hôtes ? Bon, alors, à défaut d’avoir accès à la nature, se réfugier dans la lecture; direction libraires, le prix des livres a dramatiquement augmenté, idem pour les revues… La révolution est un état d’esprit ; elle n’est pas contre les dirigeants politiques seulement ; elle est contre un état d’esprit. Il n’est manifestement pas qu’au sein de la classe politique.
Et si l’on choisit de cocooner chez soi avec de l’encens et de la musique à l’abri des news du dehors, des eurobonds, du coronavirus, des banquiers et des créanciers, avec un ouvrage sorti ou re-sorti de la bibliothèque ; on se gèle parce que le fournisseur de courant donne moins d’ampérage que prévu, les coupures étant de plus en plus fréquentes et qu’il prétend lui aussi devoir gérer. Comment faire ? Comment dans ce contexte, trouver le pas de côté? Je me prends à penser à ceux qui ont passé des années en prison - le blocus est une prison. Comment ont-ils fait pour en sortir sains et avant tout pour tenir là-dedans ?Comment cultiver la liberté intérieure? Aussi, je décide de revoir Une terre pour un homme, le film de Philippe Aractingi sur Ghassan Tuéni, pour me reconnecter à ma terre qui se fendille. Puiser dans Ghassan Tuéni la force de l’enracinement et de l’amour. Difficile exercice au jour d’aujourd’hui. Ce géant disparu dirait-il encore aujourd’hui : «Où veux-tu aller ? A Paris ? En Amérique ? Ce n’est pas mieux qu’ici. Pose tes pieds ici et plonge-les dans la terre. Un pays ne trahit pas ceux qui le servent et ceux qui l’aiment ».
Pris en otages, on choisit la révolution, intérieure, on change ses habitudes ; mais combien, jusqu’où changer ? Longtemps, l’on a vanté notre résilience : la résilience c’est à dire l’hyper-adaptation, ne favorise pas le changement. La révolution d’Octobre se réclamait de celui-ci.
* de la restructuration avec le FMI
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