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Rencontre avec Michel Ghazal

18/12/2019

Qu'est-ce que la Fondation Ghazal et pourquoi l'avez-vous créée ?

J’ai quitté le Liban en 1973 grâce à une bourse d’étude du gouvernement français pour effectuer un doctorat en gestion des entreprises à Paris. Sans cette aide, je n’aurais jamais pu partir et avoir la trajectoire professionnelle que j’ai eue. 

En 2012, après avoir cédé mon entreprise de conseil spécialisée dans l’accompagnement et la formation à la négociation et la gestion de conflits, j’ai cessé toute activité opérationnelle tournée vers le monde du business. Dès lors, j’ai pu réaliser le projet qui me tenait à cœur de créer ma fondation et orienter mes actions vers le caritatif. 

Ses objectifs au nombre de trois sont entièrement tournés vers mon pays d’origine, le Liban. 

Je voulais rendre un peu de ce que j’ai reçu et, pour cela, j’étais déterminé à accorder des bourses d’études universitaires à de jeunes étudiants méritants mais de condition économique modeste. 

Je voulais aussi aider le lycée public de Jezzine, la ville de naissance de mon père, pour offrir à ses élèves des sorties extra-scolaires culturelles, sensibilisant à l’écologie et leur donner une ouverture d’esprit les préparant à leur vie d’adulte. 

Enfin, dans la continuité de ma passion et mon engagement pour la négociation et la médiation pour la résolution des différends et des conflits, et encore très impacté par la guerre civile qui a secoué le Liban durant plus de 15 ans, j’ai lancé le prix de la prévention des conflits et la paix au Liban. Son but est de récompenser tous les ans une association ou une ONG libanaise dont les actions concrètes sur le terrain contribuent à la coexistence et au mieux-vivre ensemble des libanais. 

 

Quels ont été les lauréats du prix de la paix depuis sa création ?

Nous en sommes en 2019 à la sixième édition du « Prix de la prévention des conflits et la Paix au Liban ».

En 2014, ce fut OffreJoie avec Melhem Khalaf élu récemment comme Bâtonnier de l’ordre des avocats. En 2015, Arc-en-ciel avec Pierre Issa et Robin Richa. En 2016, c’est Amel International et le Dr Kamel Mohanna. En 2017, c’était au tour de Tamam Mroué du Mouvement Social fondé par le Père Grégoire Haddad. En 2018, c’est AFEL fondée par M. et Mme Wardé qui l’a emporté avec Amal Bassil. Enfin, cette année c’est CHAML (jeunes citoyens non violents et non sectaires) qui a été le lauréat du prix remis à sa co-fondatrice Ogarit Younan et sa Secrétaire Générale Hala Bou Ali. 

À chaque fois, le lauréat a été désigné par un jury reconnu comme impartial et indépendant sur les plans politique, confessionnel et régional. 

Tous les lauréats sont des acteurs de la société civile engagés sur le terrain pour développer une culture de la paix, plus de justice sociale et un mieux-vivre ensemble entre tous les libanais. 

 

Vous êtes vous-même fondateur du Centre Européen de la Négociation, de Dialogue Médiation et de Médiateurs sans Frontière, quels sont les buts de ce centre et dans quel pays intervient-il?

J’ai fait ma thèse de doctorat sur le thème de la négociation. Ceci m’a permis d’approcher et de coopérer avec le premier centre de recherche créé au monde dédié à l’art de la négociation: le Harvard Negotiation Project. Et, si on y réfléchit bien, c’est de paix qu’il s’agit que ça soit dans les relations professionnelles ou privées. J’ai alors créé le Centre Européen de la négociation qui intervient depuis 1980 en formation, conseil et médiation dans tous les secteurs d’activités économiques et politiques. 

Pour répondre aux demandes et besoins exprimés par les clients, j’ai formé une quarantaine de consultants-formateurs de nationalité différentes. Ceci nous a permis d’intervenir et de diffuser notre approche de la négociation - la Stratégie des Gains Mutuels- en 7 langues partout dans le monde où nos clients étaient implantés. 

Dialogue-médiation est né de ma volonté d’accorder, en tant que consultants, un peu de notre temps bénévolement aux mairies qui le souhaitaient pour les aider à régler en tant que médiateurs les conflits de voisinage. 

Et enfin, après les massacres entre les Tutsies et les Hutus au Burundi, je suis intervenu en tant que facilitateur et formateur auprès de groupes agissant sur le terrain pour recréer le lien entre ces 2 ethnies. Cette action m’a tellement marquée à titre personnel, qu’à mon retour j’ai souhaité pérenniser ce type d’intervention en créant Médiateurs sans frontières. 
 

Plusieurs révolutions secouent le monde depuis quelques mois, pensez-vous qu’il y a un dénominateur commun entre ces conflits et est-ce que la non-violence y joue un rôle ?

C’est frappant de constater comment ces derniers mois des conflits qui ont tous un dénominateur commun et un mode opératoire similaire ont explosé dans des endroits différents du globe. 

Une élément déclencheur provenant d’une décision politique de prime abord simple, a joué le rôle d’une étincelle pour une révolte d’ampleur secouant, paralysant et déstabilisant les gouvernements des pays concernés. À chaque fois, ils furent les révélateurs de malaise de fonds enfouis qui n’attendaient qu’à exploser au grand jour. 

En France, ce fut la taxe carbone qui a déclenché le mouvement des gilets jaunes qui souffraient de baisse du pouvoir d’achat et d’isolement dans les périphéries. 

Au Liban, l’idée de taxe sur les WhatsApp, dernier bastion de la gratuité pour les libanais, qui a fait exploser la colère et la révolte face à une classe politique qui a littéralement pillé l’état depuis 30 ans. 

Au Chili, ce fut l’augmentation du prix du ticket de métro ; en Égypte, une taxe sur le narguilé ; en Iran, l’augmentation du prix de l’essence ; etc.

Partout le même scénario avec un recours aux réseaux sociaux pour rassembler les citoyens qui voulaient manifester et un rejet de toute représentation politique ou syndicale. 

Malheureusement, ces mouvements qui se voulaient pacifiques au départ, ont été souvent infiltrés par des éléments radicaux et extrêmes dont le seul but est de casser et de s'affronter avec les forces de l’ordre considérées comme les bras armés d’un état oppresseur.  

 

La non-violence est-elle un modèle de soulèvement et une tendance d’expression des nouvelles générations ?

En soi, la non-violence comme moyen d’action n’est pas une évidence. Certains diraient que la paix c’est l’absence de la guerre. Quand l’émotion est présente, il est souvent difficile de la canaliser et peut vite dégénérer vers des actions violentes et comportements destructeurs. 

Il faut toute une éducation à la non-violence, à l’encouragement à la résolution pacifique des conflits et à la sensibilisation au fait que l’autre, différent de soi, n’est pas un ennemi qu’il faut rejeter, pour voir la tolérance et le respect prendre les dessus. 

 

Vous avez décerné cette année le prix à l’association CHAML, qu’est-ce qui vous a le plus touché dans cette initiative ?

Justement CHAML depuis 2008 œuvre auprès des jeunes, des femmes et des enfants dans le sens que j’indiquais plus haut. Ce ne sont pas des vœux pieux et des bonnes paroles mais des actions concrètes sur le terrain destinées à recréer les liens distordus et provoquer des rapprochements qui sont entrepris.

Avec « messages de voisins » pour prendre un exemple, ils ont réussi, à réconcilier les habitants déplacés de Mazraet El Chouf avec ceux restés au village. 

Ils ont été aussi les premiers à effectuer des médiations entre les combattants à Tripoli de Bab El Tabbaneh et Jabal Mohsen en initiant des activités entre eux, des discussions et même une pièce de théâtre commune dénonçant le confessionnalisme. 

Je peux dire que ce sont des bâtisseurs de paix et qu’ils méritent amplement le prix reçu. J’espère que celui-ci va leur donner reconnaissance, visibilité et soutien. 

 

Je voudrais pour terminer dire un mot sur le mouvement des jeunes au Liban depuis le 17 octobre.

Le hasard a voulu que cette année le prix soit dédié à une ONG libanaise qui s’occupe justement de jeunes. 4 ONG avaient été nominées et c’est Chaml qui l’a emporté.

 

Un des malheurs du Liban c’est qu’il n’y a pas un mais plusieurs pays : le chiite, le sunnite, le maronite, le catholique et j’en passe. Pour une fois ce mouvement spontané a exprimé et démontré l’existence d’un pays le Liban. Les manifestants se sont tous réuni derrière un seul et unique chef d’orchestre : le drapeau libanais et l’hymne national. Vont-ils résister aux sirènes de la division confessionnelle ?

Je n’en sais rien, ce qui est sûr c’est que le chemin des changements sera long et difficile. 

 

 

 

 

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