Premier long-métrage du réalisateur libanais Ely Dagher, The Sea Ahead met en vedette Jana (jouée par Manal Issa, que le film Peur de Rien de Danielle Arbid a révélé) qui revient de quelques années d’études passées à Paris. Tourmentée, taciturne, insaisissable, le personnage de Jana fait valoir une des réalités de l’expatriation, celle d’un paradis rêvé resté impénétrable, l’échec du célèbre adage qui voudrait que l’herbe soit toujours plus verte ailleurs.
Pourtant, la réadaptation à la ville natale semble d’autant plus difficile. Déconfite face à ses parents qui s’interrogent d’un malheur qui serait arrivé, le mystère du retour de Jana reste pour autant tout entier. La jeune femme affiche une apathie déroutante, et s’enfonce dans un abattement permanent. Autour d’elle, la ville est grise, morne, plongée dans un hiver qui semble interminable. La mer est en face, et pourtant si distante, invisibilisée par les buildings, éloignée par le goudron, contaminée par les déchets.
Beyrouth est hantée par ses fantômes, ceux qui l’ont malmenée, ceux qui l’ont quittée. Et tandis que l’action se déroule, la personnalité de Jana et celle de la ville se confondent, tantôt paralysées dans une inaction dépressive ou portées par l’imprévisibilité de l’affliction.
Les spectres de la vie passée font eux aussi leur retour, représentés par le personnage d’Adam, avec qui Jana a eu une histoire avant de tout quitter. Si leur relation apporte au film une poésie contrastante avec la morosité ambiante, les états d’âme de la protagoniste n’ont de cesse de la hanter. Une scène de danse tournée en plan-séquence dans l’appartement de l’être tour à tour aimé et détesté viendra illustrer cette constante oscillation que Manal Issa réussit à interpréter muettement d’une façon qu’il est nécessaire de saluer.
Le film, écrit par Ely Dagher en 2015, dérange jusque dans son caractère prémonitoire : alors que Jana entend, depuis le poste de radio d’un taxi, qu’un potentiel tsunami pourrait ravager la ville, l’explosion du port de Beyrouth aura lieu seulement quelques mois après le tournage.
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