“Tu as aimé le Liban ?”, c’est cette phrase que les Libanais répètent inlassablement à chaque Français venu les visiter. “Tu as aimé le Liban ?”, c’est l’archétype d’une traduction trop littérale, injustement conjuguée, représentative du multilinguisme qui caractérise le pays. “Tu as aimé le Liban ?”, c’est l’expression d’une hospitalité envers le visiteur, mais aussi le reflet de préoccupations concernant la situation politique, économique et sanitaire. Oui, on a aimé le Liban, mais on l’aime encore, et on l’aimera.
Escapade tripolitaine
Deuxième plus grande ville du pays, capitale du Nord, témoin de la période mamelouke, Tripoli et ses habitants nous accueillent les bras ouverts. Ostensiblement occidentales, les passants, pourtant très peu francophones, nous assènent de “Bonjour!” enthousiastes à chaque coin de rue. On déambule dans le quartier d’al Mina, puis à la citadelle Saint-Gilles, qui surplombe la ville, et redescendons vers les sinueux souks à la célèbre renommée.
Les enseignes désuètes, les moteurs rugissants de Mercedes old school, les dizaines de fils électriques qui s’étendent d’un bâtiment à un autre. Les rires des enfants qui jouent sur les balançoires se mélangent aux rugissements des scooters qui se faufilent entre les étals.
Au détour d’une ruelle, derrière une petite porte en pierre, se trouve le hammam el Abed, le seul fonctionnel de la ville. L'intérieur, avec ses coussins, sa fontaine centrale et ses ornements, nous plonge instantanément dans son ambiance plus ottomane qu’orientale. On y déguste un thé, on y fume la chicha, on discute avec le propriétaire et son fils. Nous avons même le droit à une petite visite privée des bains. La lumière du soleil transperce le toit de verre coloré et pénètre la pierre. Une parenthèse qui contraste avec l’effervescence de Tripoli et ses bruits incessants.
Le repas des guerriers
Après une matinée bien remplie, tous affamés, nous nous attablons chez Akra, restaurant apparemment incontournable si l’on en croit le monde dans la salle. La déco y est simple, sans prétention, et rappelle les cantines que nous avons tant fréquenté pendant notre scolarité. Mais première difficulté, la carte n’est qu’en arabe, et la serveuse peine à nous expliquer ce que nous allons manger. Autour de nous, tout le monde semble avoir le même plat.
Après une (courte) réflexion, nous comprenons que ce restaurant ne sert qu’une spécialité : le fatteh. Nous n'en avons jamais mangé, mais après tout, nous sommes là pour expérimenter. Nous découvrons donc ce plat levantin, qui se compose ici de morceaux de pains grillés, de pois chiche, de laban et d’amandes. Si à l’aspect, nous n’étions pas directement séduits, le goût achève de nous convaincre. Ce plat est indiscutablement meilleur qu’il n’est beau, et nous y revenons à plusieurs reprises. Petit bémol : il est traître, et nous cloue tous à notre chaise, incapables de nous lever, dans l’attente de digérer.
Le fantôme de Tripoli
Des structures qui semblent avoir été pensées davantage pour leur prouesse architecturale que pour leur fonctionnalité. Une gigantesque arche, un théâtre en forme de dôme, un vaste pavillon. Les étendues - 10 000 hectares au total - ne sont pas sans rappeler l’esthétique constructiviste, typique de l’époque soviétique, bétonnée, solennelle.
En 1963, Oscar Niemeyer, l’un des géants de l’architecture moderniste, est chargé de concevoir une Foire Internationale qui sera baptisée à la mémoire de l’ancien premier ministre Rachid Karamé, originaire de Tripoli. Le projet est abandonné au début de la guerre civile, et devient un poste d’occupation pour l’armée syrienne. Le site tombe en ruines, jusqu’à ce que le World Monuments Watch attire l’attention sur les années de négligence et de désintérêt dont il fait l’objet.
Aujourd’hui, le calme d’un lieu déserté, ses piscines vides et ses jardins impeccablement entretenus, créent une vision juxtaposée d’un projet conçu pour être bourdonnant de vie, et donne la sensation de déambuler dans le mirage de ce qu’aurait été le Liban, prospère, faste, utopique.
Face à une situation déroutante, les Libanais vous diront « C’est le Liban », façon de vous expliquer que si vous pensez avoir compris le Liban, c’est qu’on vous l’a mal expliqué. Mais on cherchera, du mieux qu’on peut, à le déchiffrer :
Leçon n°11 : Au Liban, tout est souvent caché. La curiosité n’est pas un vilain défaut.
Nos coups de cœur de la semaine - L’Attaque des Titans, le manga culte d’Hajime Isayama, qui raconte l’histoire d’un monde où l’humanité vit entourée d’immenses murs pour se protéger de créatures gigantesques, les Titans. On vous recommande également la série animée adaptée, disponible sur Netflix. - Mektoub, my love : Canto Uno, d’Abdellatif Kechiche. Libre adaptation du roman La Blessure, la vraie de François Bégaudeau, le film ne raconte pourtant presque rien mais célèbre l’été, le Sud de la France, sa jeunesse, sa sensualité. - La chaîne Youtube Les Artisans de Demain: un jeune couple qui voyage en 4x4 - la grosse baleine comme ils l’appellent - depuis le sud de l’Afrique jusqu’à leur dernier arrêt, le Pakistan. Leur point de vue sur des régions méconnues et malmenées, ainsi que la qualité de leurs images donnent instantanément envie de prendre la route. |
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