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“TU AS AIMÉ LE LIBAN ?”, ÉPISODE #13

10/06/2021

“Tu as aimé le Liban ?”, c’est cette phrase que les Libanais répètent inlassablement à chaque Français venu les visiter. “Tu as aimé le Liban ?”, c’est l’archétype d’une traduction trop littérale, injustement conjuguée, représentative du multilinguisme qui caractérise le pays. “Tu as aimé le Liban ?”, c’est l’expression d’une hospitalité envers le visiteur, mais aussi le reflet de préoccupations concernant la situation politique, économique et sanitaire. Oui, on a aimé le Liban, mais on l’aime encore, et on l’aimera.

 

TU AS AIMÉ VIVRE AU LIBAN ?

 

Yaël :

 

« On s’habitue à tout, même à ce que l’on n’acceptera jamais » 

 

Voilà presque cinq mois que j’ai foulé le sol libanais pour la première fois. Cinq mois, ce n’est pas énorme, mais ce n’est pas rien non plus. On a le temps de faire plein de choses, en cinq mois. On a surtout le temps de s’accoutumer, de déconstruire les choses que l’on a apprises et d’en assimiler de nouvelles. Ce qui, quelques mois plus tôt, m’aurait étonnée, est devenu partie intégrante du paysage quotidien. 

Mais comment décrire le Liban à ceux qui n’y ont jamais été ? 

Je dirais qu’il nous force à ne plus être étonnés de rien. Ce qui était alors anormal, surprenant, devient banal et commun. 

 

Par la vitre de mon taxi-service, je vois la station essence détruite, sciée en deux, abandonnée au cœur d’Armenia street, une des rues les plus vivantes de la capitale. Je passe devant la montagne de poubelles habituelle, où des dizaines de chats se partagent un repas. L’odeur ne me fait même plus broncher. Sur la route, aucun passage piéton, aucun feu, les passants traversent à leur guise, les mendiants syriens se faufilent et toquent aux vitres des voitures. Prise dans un embouteillage, je reste bloquée trente minutes dans la même rue à Hamra. Les bruits de klaxons m’accompagnent tout le long, mais le vacarme incessant est désormais un bruit de fond. Enfin arrivée au bureau, après avoir payé (évidemment en cash), je prends l’ascenseur. Une coupure d’électricité me bloque, dans le noir, entre deux étages. J’attends patiemment que le générateur fasse effet, sans paniquer une seconde. 

 

« On s’habitue à tout, même à ce que l’on n’acceptera jamais » disait Claude Charron. Cette citation fait particulièrement sens au Liban où, épuisés, les Libanais sont pourtant obligés de composer avec cette réalité compliquée. Ils sont comme immunisés. 

Mais s’il y a une chose à laquelle je me suis rapidement habituée, et ce, bien volontiers, c’est au climat du Moyen-Orient et son soleil permanent. 

 

 

TU AS AIMÉ LES SONS DE BEYROUTH ? 

 

Emma :

 

Tachycardique, Beyrouth bat chaque jour le rythme de son effervescence. Constitutifs de son âme, les sons pullulent, vibrent, résonnent. Les habitants composent avec, s’y réfèrent, les subissent parfois. Les bruits se répètent, inlassablement, se répondent, dans une symphonie quotidienne que chacun connaît désormais sur le bout des doigts. La carte postale de Beyrouth est sonore, criarde, tonitruante. 

 

Les marteaux-piqueurs et autres engins font office de réveil. Il est l’heure, l’heure de se lever, l’heure de reconstruire. 

 

Au chant du muezzin succède le son de cloche des églises. Ils ponctuent les journées, jalonnent les quotidiens. 

 

Sur la Corniche, les vagues s’entrechoquent, les vendeurs de kaak alpaguent, les coureurs s’essoufflent. 

 

Au détour de chaque immeuble, les générateurs ronronnent. Un bourdonnement permanent qui rappelle sans cesse au déclin. 

 

Dans un emballement, les pots d’échappement rugissent tandis que les scooters se faufilent, sifflants. 

 

Les fenêtres ouvertes des voitures laissent s’échapper la voix du bulletin d’information radiophonique: « Le prix de l’essence en hausse » informe aujourd’hui le journaliste au taxi-service qui s’épuise à klaxonner ses potentiels clients. 

 

A la nuit tombée, ce sont les hits du moment, les classiques de la chanson libanaise et les musiques électroniques qui débordent des automobiles, rivalisant de nuisance avec les bars dont les consommateurs sont forcés de hurler. 

 

 

TU AS AIMÉ SAIDA ?

 

C’était notre première fois à Saïda, ancienne cité phénicienne, troisième plus grande ville du Liban. Le souk nous accueille à travers ses ruelles sinueuses, son clair-obscur, ses couleurs ocres. Un labyrinthe, dans lequel on aurait envie de se perdre, à la recherche de ses trésors. 

Le premier à s’offrir à nous est le palais Debbané, témoin de l’architecture arabo-ottomane, restauré à l’occasion d’une exposition consacrée à « l’artblessé” par l’explosion du 4 août. Les œuvres, amputées, y sont magnifiées par l’environnement qui leur est accordé, les diwans, la fontaine centrale, les plafonds sculptés. 

Le deuxième est un hammam, vieux de trois cent ans, où Tom Young, artiste britannique installé au Liban, expose ses toiles. L’humidité du lieu, à laquelle s’ajoute les perforations des coupoles, ont laissé leurs empreintes sur les murs, teintés de roses, de bleus et de jaunes. 

La combinaison des œuvres et du décor crée cette ambiance si particulière, cette impression d’un moment suspendu, hors du temps. 

Après un détour au musée du savon, spécificité artisanale de la ville, nous nous délectons d’un déjeuner copieux aux abords des ruines du château. 

Un petit plouf d’adieu, et nous voilà rentrés à Beyrouth sous la chaleur écrasante du début d’été. 

 

 

Face à une situation déroutante, les Libanais vous diront « C’est le Liban », façon de vous expliquer que si vous pensez avoir compris le Liban, c’est qu’on vous l’a mal expliqué. Mais on cherchera, du mieux qu’on peut, à le déchiffrer : 

 

Leçon n°13: Ecoutez. Les sons sont parfois plus parlants que les images. 

 

Nos coups de cœur de la semaine:

- West Beirut, de Ziad Doueiri. Un film de 1998 qui dépeint la guerre civile libanaise à travers les yeux de trois enfants dans l’ouest de la ville.

- L’album Second Verse, de Faraj Suleiman, compositeur, musicien et chanteur palestinien. Ses créations, influencées par les sonorités arabes et les rythmes européens, s’affirment autour de paroles mélancoliques et de mélodies jazzy.

- Le compte instagram @thesocialfood, studio de création autour de la cuisine qui déroule sur leur feed des portraits de chefs, des recettes responsables, nous emmènent découvrir de nouveaux restaurants. 

A ne surtout pas regarder avant un repas.

 

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