“Tu as aimé le Liban ?”, c’est cette phrase que les Libanais répètent inlassablement à chaque Français venu les visiter. “Tu as aimé le Liban ?”, c’est l’archétype d’une traduction trop littérale, injustement conjuguée, représentative du multilinguisme qui caractérise le pays. “Tu as aimé le Liban ?”, c’est l’expression d’une hospitalité envers le visiteur, mais aussi le reflet de préoccupations concernant la situation politique, économique et sanitaire. Oui, on a aimé le Liban, mais on l’aime encore, et on l’aimera.
TU AS AIMÉ VIVRE AU LIBAN ?
Yaël :
Les jours défilent et le temps passe. Plus qu’un mois au pays des Cèdres. Le Liban sera bientôt un souvenir, et j’en suis sûre, un manque. Et à l’image de ce pays et de ses incohérences, ce qui va me manquer m’agace aujourd’hui, souvent me dérange. C’est cette ambivalence représentative qui nous rend incapable de tout à fait saisir ce que ce pays nous procure. Cette ambivalence qui nous agresse, nous bouscule sans arrêt, et en même temps, nous charme.
Ces choses, parfois pénibles au quotidien, demandent le recul nécessaire pour les apprécier.
Les Libanais parfois trop curieux, engageant des conversations trop tôt dans la journée. Cette chaleur humaine.
Les plats trop citronnés, trop assaisonnés. Cette fraîcheur et ses saveurs tranchées.
Les passages piétons inexistants, manquer de mourir en traversant. Ne pas perdre de temps.
La chaleur de Beyrouth, écrasante, trop étouffante. Le temps et le soleil libanais.
Les cris, la musique trop forte et les chants incessants jusqu’à trop tard sur Armenia street. Beyrouth et ses nuits endiablées que rien ne fera taire.
Les restaurants, les endroits fermés qui ressemblent davantage à des fumoirs. Se croire dans les années cinquante.
Les rues, irrégulières, abîmées, où il faut enjamber, se baisser sous les échafaudages, passer près de bâtiments en ruines. Être sans arrêt étonnée par le paysage.
Ne jamais marcher. Le confort de la voiture.
Les phrases trilingues, peiner à suivre une conversation. La richesse d’une culture plurielle.
Réussir parfois à expliquer, mais ne jamais bien comprendre. Le mystère et l’exception libanaise.
TU AS AIMÉ LES ODEURS DE BEYROUTH ?
Emma :
Tu pues, Beyrouth. Tu cocottes. Tu fouettes, tu suintes, de toute ta frénésie. Tu sens l’excès, tu sens la rage, tu sens le désespoir. Ton impétuosité déborde, te rattrape. Tu respires la fougue. Tu humes l’acharnement. Tu exhales l’inventivité. Tu sues l’hospitalité.
Tu schlingues l’ail. Tu étouffes d’aromates. Tu enfumes de grillades. Tu ruisselles de néroli. Tu perles d’huile. Tu dégoulines d’anis. Tu renâcles le narguilé.
Tes rues prennent à la gorge, pénètrent jusqu’à l’âme. Sur les autoroutes. Les pots d’échappement. Le caoutchouc brûlé. Les décharges. « You stink », comme en 2015, comme pendant la crise des ordures.
Tu embaumes de ta mer. Tu oxygènes de ta terre. Tu envoûtes de ton jasmin.
Tu transpires. Tu harasses. Tu imprègnes. Une odeur indéfinissable, complexe, quoi qu’universelle à tous ceux qui ont croisé ta route.
TU AS AIMÉ L’AGENDA CULTUREL ?
C’est l’histoire d’une sensibilité. D’une passion, fiévreuse, pour l’art, la culture libanaise. C’est l’histoire de l’Agenda Culturel. C’est l’histoire de Myriam et ses drôles de dames.
Myriam, elle en impose. Sortir avec elle, c’est saluer le tout Beyrouth. Et elle fait de chacune de ces rencontres des moments privilégiés. Elle met à l’aise, elle écoute, elle agit. Elle sait aussi se faire entendre. Et celui pour qui elle se bat, aujourd’hui comme demain, c’est son pays, c’est le Liban.
Ensuite, il y a Linda. Et ce, depuis douze ans. Linda, elle est discrète, elle est coquette. Elle tient les comptes, et Dieu sait que c’est compliqué, surtout au Liban, surtout en ce moment.
Son acolyte de toujours, c’est Amanda. Elle a un sacré sens de l’humour, teinté d’une légère pointe de cynisme. Quand elle décroche son téléphone, impossible de s’entendre parler, et ce jusqu’à son “Yallah bye bye”, ponctuant chacun de ses appels.
Et puis, que serait l’Agenda sans ses stagiaires ? Français et Libanais, parfois les deux, ils sont enthousiastes de chaque opportunité, apportent une touche de légèreté et de modernité. Des têtes bien faites, convaincues de ce qu’elles entreprennent. Mais pas toujours ponctuels, souvent bavards, un peu têtus sur les bords. Après tout, on ne prétend pas tout révolutionner, on est simplement venus aider.
Face à une situation déroutante, les Libanais vous diront « C’est le Liban », façon de vous expliquer que si vous pensez avoir compris le Liban, c’est qu’on vous l’a mal expliqué. Mais on cherchera, du mieux qu’on peut, à le déchiffrer :
Leçon n°14: On se rend compte de la valeur des choses qu’une fois qu’on les a perdues.
Nos coups de coeur de la semaine : - Une séparation, d'Asghar Farhadi. L’Iran, la complexité de sa société, de ses mœurs. - On réécoute Heligoland, du groupe britannique Massive Attack, fondateurs du trip-hop. L’album, intemporel, mélange les genres à la perfection. - La septième fonction du langage, de Laurent Binet. Roland Barthes meurt renversé par une camionnette le 25 février 1980, et commence alors le récit de l’enquête qui entoure cette mystérieuse disparition, dans les milieux intellectuels et politiques de l’époque. |
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