“Tu as aimé le Liban ?”, c’est cette phrase que les Libanais répètent inlassablement à chaque Français venu les visiter. “Tu as aimé le Liban ?”, c’est l’archétype d’une traduction trop littérale, injustement conjuguée, représentative du multilinguisme qui caractérise le pays. “Tu as aimé le Liban ?”, c’est l’expression d’une hospitalité envers le visiteur, mais aussi le reflet de préoccupations concernant la situation politique, économique et sanitaire. Oui, on a aimé le Liban, mais on l’aime encore, et on l’aimera.
TU AS AIMÉ LES LIBANAIS ?
Yael :
Après déjà deux mois passés ici, il est temps d’être un peu sentimentale. Et ce qui m’a fait aimer le Liban si rapidement, c’est avant tout la générosité et la serviabilité des Libanais, encore plus compte tenu de la crise que traverse le pays. Je m’attendais à de la réticence, peut-être même de la colère. La réalité a été toute autre. J’ai découvert un peuple toujours prêt à venir en aide, tellement que parfois, j’ai essayé de déceler des intentions cachées derrière des actions altruistes. Mais pardonnez-moi, c’est simplement qu’en France, nous ne sommes pas toujours habitués aux actions désintéressées, encore plus d’un homme envers une femme. La méfiance nous pousse à refuser, à penser que si l’on accepte, on va leur devoir quelque chose, que ce n’est pas gratuit.
“Si tu as besoin de quoi que ce soit, tu m’appelles”, c’est une chose de le dire, ça en est une autre de le penser. Des Libanais que je connais ici depuis quelques semaines me sont davantage venus en aide que des personnes que je connais depuis des années. Et ce, malgré leur quotidien qui s’empire de jour en jour, malgré l’espoir qui s’éloigne. Peut-être est-ce justement parce qu’ils ont connu la souffrance qu’ils sont aussi bienveillants avec ceux qui les entourent et ne leur souhaitent en aucun cas de vivre ce qu’ils ont vécu et ce qu’ils vivent.
TU AS AIMÉ VIVRE AU LIBAN ?
Emma :
“Ce qu’on est incapable de changer, il faut au moins le décrire” écrivait Fassbinder. Témoin de ce qui fera Histoire, je ne peux me contenter que d’attester d’une période injuste, révoltante pour le peuple libanais.
Il n’est plus question ici que d’une insurrection contre un gouvernement incapable, apathique et irresponsable. Le Liban a faim. Les Libanais se battent pour une brique de lait, braquent un supermarché pour obtenir des couches pour leurs enfants, cotisent pour pouvoir acheter du riz. Et aucune issue ne semble se dessiner. L’attentisme est religion au sein de la classe dirigeante, les banques continuent de restreindre leurs clients, les puissances étrangères conditionnent leur aide à des réformes qui restent inenvisageables. Et le Liban a faim. L’électricité se raréfie, les pénuries se multiplient, le chômage explose, les suicides augmentent, la colère grandit, la violence s’accroît, les rues s’enflamment. Et, toujours, le Liban a faim.
TU AS AIMÉ L’EXPATRIATION ?
Cette semaine, on voulait insister sur la situation du pays, puisque, tous les jours un peu plus, on prend conscience de ce que nous sommes en train de vivre. Victimes de notre impuissance, nous souffrons de plus en plus de ce sentiment, essayant de trouver notre place, presque honteuses de notre confort. Nos sentiments sont ambivalents : comment soutenir l’économie locale sans tomber dans du “m’as-tu-vu”? Comment venir en aide sans paraître condescendantes ? Comment réagir quand quelqu’un nous informe des nouveaux taux de change ?
Vivre au Liban en ce moment n’est pas simple, trouver sa place ne l’est pas non plus. Rester insensible est impossible. Mais avec cette chronique, on espère à travers notre regard mettre en lumière cette beauté impérissable qu’est le Liban pour ceux qui n’ont plus la force de le faire.
Face à une situation déroutante, les Libanais vous diront « C’est le Liban », façon de vous expliquer que si vous pensez avoir compris le Liban, c’est qu’on vous l’a mal expliqué. Mais on cherchera, du mieux qu’on peut, à le déchiffrer :
Leçon n°5 : Chacun a son rôle à jouer. Une petite initiative peut engendrer de grands changements.
Nos coups de cœur de la semaine : - Le podcast Coming Out, numéro 1 sur Spotify, par Elise Goldfarb et Julia Layani. Elles donnent la parole à des célébrités et des anonymes pour parler de leur cheminement vers l’acceptation de leur orientation sexuelle homosexuelle. - La tirade de Pierre Arditi dans “Art” de Yasmina Reza (à 34:00 min). Une performance à la fois drôle et remarquable. La pièce est à voir absolument. |
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