Véronique Aulagnon : ‘‘Pour moi, il n’y a pas de femme libanaise. Il y a des femmes libanaises’’
27/02/2020
Pourquoi avoir créé ce festival et quel est son but ?
Nous avons décidé d’organiser ce festival international des féminismes, le premier au Liban et dans la région, pour trois raisons.
La première raison, c’est que la défense des droits des femmes et la promotion du débat d’idées font partie des priorités de la diplomatie française. Sur la question des droits des femmes, nous ne contentons pas d’organiser ou de nous associer à des évènements à l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, le 8 mars. Mais nous avons fait de cette question un fil rouge de notre programmation culturelle : c’était l’un des sujets débattus lors de la Nuit des idées organisée à l’Institut français du Liban en 2018 et le thème phare de notre programmation pour le Mois de la francophonie en 2019. Cela fait longtemps que nous avions envie de contribuer à un évènement encore plus structurant.
J’en viens à la deuxième raison : la « thawra » libanaise, qui a mis sur le devant de la scène la question des droits des femmes. Ces femmes qui ont été aux premiers rangs des manifestants depuis le 17 octobre, avec des actions symboliques qui ont marqué les esprits – une marche blanche, une interposition entre les forces de l’ordre et les manifestants. Ces femmes qui ont largement contribué à ce que la promotion des droits des femmes libanaises – droit à transmettre sa nationalité, reconnaissance d’une égalité totale de droits à travers l’établissement d’un statut personnel civil – émerge comme l’une des principales revendications des manifestations. Ce phénomène n’est d’ailleurs pas propre au Liban, mais quelque chose que l’on retrouve en Algérie, en Tunisie, en Syrie et ailleurs, dans les mouvements de mobilisation citoyenne récents. Dans ce contexte, il nous a semblé évident de mettre notre programmation au diapason des préoccupations de la société civile libanaise, et notamment de sa jeunesse.
Mais cette initiative n’aurait jamais vu le jour sans nos partenaires libanais – The Joumana Haddad Freedoms Center, The Arab Institute for Women (AiE) de l’université LAU, l’association Lebanon Support et l’Institut des sciences politiques de l’USJ– qui ont pensé cet évènement avec nous. C’est la troisième raison.
Ce festival n’est pas un évènement ponctuel. Notre but est double : en réunissant des activistes, des penseurs et des artistes de la cause féministe du monde arabe, de France et même du Canada, nous voulons donner une tribune publique pour le débat sur les droits des femmes, sans aucun tabou, mais aussi et surtout un espace de rencontres et d’échange d’expériences, qui permette de renforcer et structurer les réseaux militants féministes dans la région. Ce festival est le début de quelque chose, pas un point d’aboutissement.
Parlez-nous de la programmation du festival
Ce festival se déroule du 27 février au 1er mars, essentiellement à l’Institut français du Liban. Il est pluridisciplinaire : il mêlera ateliers pratiques, débats, et performances artistiques. Pour cette première édition, nous avons souhaité mettre l’accent sur la dimension sociétale et d’une certain façon universelle de l’inégalité entre les femmes et les hommes : autrement dit, pourquoi les sociétés sont-elles patriarcales ? Comment en sort-on ? c’est une question qui n'est pas propre au monde arabe, loin de là. Et au sein du monde arabe, il y a des expériences extrêmement diverses : la Tunisie a été très en avance sur cette question, y compris par rapport à la France sur certains sujets. Comprendre comment ce processus d’émancipation des femmes s’est structuré, comment il pourrait se renforcer ailleurs, à quelles résistances il se heurte, est essentiel. Nous aurons aussi de nombreuses table-rondes sur la diversité des formes de l’engagement féministe aujourd’hui, qu’il soit politique, économique, social ou encore artistique.
Une programmation artistique exceptionnelle accompagnera et rythmera le festival, avec des performances par des artistes libanaises, la projection en avant-première du film documentaire « Women » d’Anastasia Mikova et Yann Arthus-Bertrand et le lancement du cycle cinématographique « Militantes au cinéma » - Carte blanche à Nadi Lekol Nas, une pièce de théâtre, « L’événement » d’Annie Ernaux, interprété par Françoise Gillard, sociétaire de la Comédie française, sur la question de l’avortement, une conférence-performance et une exposition exceptionnelles de l’artiste française contemporaine ORLAN, et une soirée de clôture en musique à Station avec les DJ Chippy Non Stop et Tala Mortada.
Tout ceci, en français, arabe et anglais, à l’image d’un Liban plurilingue.
Quels sont les défis majeurs auxquels sont confrontés les femmes dans le monde ?
Les inégalités entre les femmes et les hommes restent fortes, quelles que soient les sociétés, mais elles se posent dans des termes différents. Dans un certain nombre de pays, il existe encore des discriminations légales à l’égard des femmes - que ce soit en termes d’accès au monde du travail ou de statut personnel - c’est encore le cas au Liban.
Même dans les pays où ces discriminations n’existent plus, il peut exister un environnement insuffisamment protecteur ou favorable à l’égard des femmes – absence de système de garde des enfants, absence de congés maternité et paternité, dispositif de prévention et de répression insuffisant des violences à l’égard des femmes, ou encore accès insuffisant aux moyens de contraception. Même dans un pays comme la France que l’on peut considérer comme relativement avancé dans ce domaine et qui a notamment mis en place un dispositif de quotas pour se rapprocher d’une égalité réelle entre femmes et hommes, il existe encore des inégalités fortes en termes d’accès aux postes de responsabilité, de salaire, ou encore de représentation politique.
Le combat féministe est un combat de longue haleine, qui implique de questionner des fondements socioculturels extrêmement profondes sur la répartition des rôles entre les femmes et les hommes. C’est pourquoi ce combat ne peut être gagné que s’il se fait aussi avec et pour les hommes, que j’invite à participer nombreux à ce festival.
Selon vous, au Liban, les femmes sont-elles de plus en plus engagées ? Pourquoi et comment ?
Les femmes ont toujours été engagées. En revanche, elles le font aujourd’hui de façon plus visible, plus organisée et certainement plus frontale. Des mouvements mondiaux comme « Me too » et les mouvements de mobilisation citoyenne dans le monde arabe y ont certainement contribué. Tunisiennes, Marocaines, Égyptiennes, Libyennes, Syriennes, Iraniennes, Saoudiennes ou encore Yéménites ont su utiliser les ressources numériques – et notamment les réseaux sociaux - pour communiquer et organiser des manifestations. On voit aussi de nouvelles générations de militantes, qui maîtrisent mieux les techniques de mobilisation citoyenne et médiatique, comme on l’a vu au Liban par exemple avec la campagne coup de poing de l’ONG Abaad « Une robe blanche ne couvre pas le viol ».
En quelques mots, pouvez-vous nous décrire une femme libanaise en 2020 ?
Pour moi, il n’y a pas de femme libanaise. Il y a des femmes libanaises.
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