Victoria Abril et Salma Hayek se trouvent en même temps à Beyrouth, ce mois de mai 2015. Deux actrices hispaniques, iconiques, non seulement par leur plastique mais plutôt pour leur sensualité et leur personnalité ; pour leur liberté et leur avant-gardisme.
Des comédiennes ; au cinéma, mais des femmes pleinement femmes, pleinement elles-mêmes au dehors. L’une qui ne cherchera pas à séduire ou à plaire, juste pour entretenir le mythe; l’autre qui ne joue pas non plus la comédie lorsqu’elle prend dans ses bras des enfants réfugiés ou lorsqu’elle parcourt la planète sans limitations : Afrique, Inde, Amérique Latine, pour soutenir les œuvres de Mère Teresa ou autres programmes d’aide aux défavorisés, notamment ceux initiés par Kering - le groupe de luxe dirigé par son époux, François Pinault. Salma Hayek n’a pas seulement choisi de faire du cinéma ; elle a choisi de se lancer dans des entreprises qui faisaient du sens pour elle, quand bien même celles-ci pouvaient sembler hasardeuses a priori, car pas forcément en ligne avec l’air du temps. Parce que celle qui a choisi de produire et d’incarner Frida Kahlo, contre tous les avis hollywoodiens de l’époque ou encore ‘The Prophet’ - à une époque qui n’a rien de prophétique ou de poétique - est habitée. Par une dimension privée (intime, spirituelle) tout autant que sociale. Et par sociale, entendre qui produit un impact sur le terrain, dans le réel et non seulement sur l’écran social. Son prochain film traite d’ailleurs d’un drame politique qui se déroule dans l’Iran de 1979.
L’ambition d’une femme comme Salma Hayek n’est pas celle d’une carrière ou de pépites sonnantes et trébuchantes ; elle est plus vaste. Elle est de créer du lien, capacité typiquement féminine qu’elle utilise sans ambages. Et c’est sans doute là que réside la vraie émancipation : être libre dans la représentation de soi ; pouvoir conjuguer et vivre ses différentes facettes de femme, et non pas devoir choisir l’une au détriment de l’autre - ce qu’une société orientale traditionnelle pousse encore à faire. C’est bien pour leur singularité et leur créativité que Salma Hayek et Tilda Swinton ont été choisies pour représenter la marque de bijoux Pomellato - elles auraient même donné leurs idées pour la campagne. ‘‘Nous ne sommes, ni les plus jolies - bien que nous soyons jolies, hein- ni les plus jeunes mais nous avons des idées géniales’’ dit Hayek. Ni elle, ni Tilda Swinton, ni Victoria Abril ne répondent aux diktats commerciaux en cours, ni d’ailleurs au féminisme d’une certaine époque qui laissait supposer de négliger le corps ou l’apparence pour être prise au sérieux. Elles illustrent la possibilité d’un autre féminisme ; pleinement attentif au corps dans toutes ses dimensions y compris celle de l’apparence ; une apparence choisie et non subie en fonction d’un certain conformisme social. Simone de Beauvoir, elle-même écrivait ‘‘renoncer à sa féminité, c’est renoncer à son humanité’’.
Autant que les hommes, les femmes sont des sujets incarnés ; en ce qu’elles vivraient cette incarnation sans doute de façon plus prégnante en raison de leur potentialité maternelle, incubatrice, intuitive. Encore faut-il qu’elles puissent écouter cette potentialité ; et c’est bien là la force de Salma Hayek ou de Tilda Swinton, d’écouter ‘La Femme Sauvage’ en elles. ‘Sauvage’ d’après ‘Femmes sauvages qui courent avec les loups’ - titre du livre de Clarissa Pinkola Estes - non pas dans le sens incontrôlable mais en ce qu’elle est connectée à son être le plus profond, au corps, aux mondes visible et invisible*… A sa force instinctive, fondatrice, qui encourage les humains à parler les langages multiples des rêves, de la passion, de la poésie.
Pour la psychanalyste jungienne, les loups et les ‘femmes sauvages’, méconnus, sont l’objet d’un malentendu et ‘‘la cible de ceux qui veulent nettoyer l’environnement sauvage de la psyché au même titre que les territoires sauvages, et parvenir à l’extinction de l’instinctuel’’, ce que l’on expérimente de manière particulièrement aigue à l’ère de l’uniformisation et du virtuel, antidotes même de l’instinctuel. Ainsi, ce n’est pas par hasard si la grande pianiste - et écrivain - esprit libre Helene Grimaud a choisi d’œuvrer à la protection et à la réhabilitation des loups.
‘Femmes sauvages’, on a bien besoin d’inspiration, incarnée pour avancer… Merci Salma Hayek d’être passée par là; merci de communiquer et de donner, car ‘‘tout ce qui n’est pas donné est perdu’’ comme le dit le proverbe indien.
*Pour Pinkola Estes, les femmes sauvages et les loups ont de nombreuses caractéristiques communes : sens aiguisés, esprit ludique, aptitude extrême au dévouement ; relationnels, force, endurance et curiosité, courage et vaillance, etc
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