Anniversaire de diamant pour l’Entraide Bois de Boulogne : 60 ans à aider, soutenir, s’épauler entre immigrants moyen-orientaux.
10/10/2024|Gisèle Kayata Eid, Montréal
« C’est trop dur. Pas de financement. C’est impossible. On laisse tomber ». Le vote est sans retour : fermer boutique.
Trois personnes restent là pourtant après que tous soient partis : « On ne peut pas renoncer à cette mission à laquelle Père Georges Coriaty à consacrer sa vie. Non, c’est trop bête. Nous on continue. » Et c’est ainsi que le SAIMOC (Société d’aide aux émigrants du MO au Canada, connu depuis 2000 comme l’Entraide Bois de Boulogne) résista et continua à assumer.
Tout a commencé pourtant dès 1960, quand un père de la paroisse melkite catholique de St Sauveur, assisté par les sœurs de la Providence, recevaient à Montréal tous ceux qui rêvaient d’une vie meilleure que celle que leur pays d’origine avait failli à leur offrir. Dès 1956, avec la nationalisation du Canal de Suez, les Égyptiens commencèrent à s’inquiéter et augurèrent des vagues d’immigration qui se succédèrent surtout que le 8 mars 1963, le Canada ouvrait ses portes aux émigrés du Proche Orient dont notamment les Syriens d’Alep qui, après 1967 et la déception de la guerre des six jours et suite également aux nationalisations, ont pris le chemin de l’exil. Ils furent bientôt suivis en masse par les Libanais dès 1975 avec le déclenchement de ce qu’on appela la guerre civile et ce jusqu’en 1995.
À Montréal, Père Coriaty et trois membres de la communauté syro-libanaise établie depuis 1890 offraient de multiples services aux nouveaux arrivants avec le soutien logistique des deux paroisses grec-orthodoxes St Georges et St Nicolas : homologuer les diplômes, inscrire les enfants à l’école, faciliter les contacts professionnels, etc. Très vite, la petite communauté demanda de l’aide à l’État, se dota de statuts officiels et s’incorpora dès 1964. Le Centre communautaire et culturel Bois-de-Boulogne hébergeait désormais, depuis 1974, la SAIMOC.
Les choses commencèrent à se gâter dès 1983 avec d’importantes coupures budgétaires. De nouvelles conditions du gouvernement étaient édictées pour être éligible aux subventions : l’extension des services du SAIMOC au-delà de la communauté moyen-orientale et l’exigence de favoriser les institutions laïques. Le caractère confessionnel de la SAIMOC la priva donc de toute aide publique. Ne restait plus que les dons privés. Au tarissement des ressources s’ajoutaient la maladie de son fondateur, le vieillissement de l’équipe constituante… 1998, la SAIMOC baissait les bras.
C’était sans compter avec Claudie Ayass, Solange Bassal et Antoine Khalo. Déterminéss à poursuivre l’œuvre de bienfaisance au profit des immigrants, ils se sont attelées, dès 2000, à faire redémarrer l’association à but non lucratif avec une nouvelle organisation et un nouveau nom : « L’Entraide » … et c’était bien de ça dont il s’agissait : hébergement, recherche d’emploi, appui aux enfants scolarisés, support financier aux familles dans le besoin, visite aux personnes âgées, assistance aux malades, soutien moral… Les familles fraichement débarquées étaient accueillies en bonne et due forme par cette ONG…
Avec la communauté qui comptait déjà trois générations d’immigrants (auxquels se sont joints les Jordaniens, les Palestiniens, tous ces Chrétiens d’Orient déplacés), L’Entraide s’est restructurée en quatre volets : social, communautaire, culturel et caritatif sur la base d’une adhésion annuelle.
Et cela dure depuis 60 ans et se traduit par une multitude d’activités orchestrées par un conseil d’administration dynamique présidé par la vaillante Claudie Ayass, médaillée 2 fois pour son action bénévole, et qui gravitent autour de la réflexion, du dialogue et des échanges interculturels : conférences intellectuelles, animations intergénérationnelles, cours de musique, club de lecture, excursions à la découverte du Québec, bourses d’études, le tout animé par une myriade d’une quarantaine de bénévoles qui butinent sans relâche et à qui L’Entraide consacre, chaque année, un brillant cocktail officiel en signe de reconnaissance de leur travail et de leur présence indéfectibles.
Il faut surtout signaler, au-delà des actions ponctuelles, nombreuses et variées, que l’Entraide c’est surtout un esprit de partage et de soutien qui renforce les liens des communautés moyen-orientales, pourtant bien ancrées dans la réalité québécoise. Pas de nostalgie ou de caucus entre soi, pas de politique, mais une grande famille, une allégeance, des retrouvailles, l’occasion de donner une visibilité aux talents de chez nous, une épaule amicale, des racines sauvegardées (la sociabilité, l’ouverture aux autres), des traditions perpétrées, à quoi s’ajoute la constitution d’un terreau, une référence « autre » pour la nouvelle génération née en terre d’ « exil ».
Sans nullement se positionner comme un référant idéologique, l’Entraide c’est aussi un engagement de tous les jours, de toute une vie, une œuvre plantée dans la foi, qui affirme et partage des prises de position conformes à nos habitudes et à nos valeurs, une voix pour se faire entendre dans un environnement étranger à nos us et croyances (cf. l’émission phare à la radio du Dr.Raouf Ayass : Chrétiens du Moyen-Orient), une présence soutenue par un bulletin bimensuel, un courriel amical qui annonce et rappelle les différentes activités, une commémoration, des jeux de cartes, des soirées St -Valentin, un verre de l’amitié en arrivant, des bouchées pour accueillir à l’orientale, des sourires, de l’accueil, de l’acceptation…
Une autre façon de résister tout en s’intégrant harmonieusement à la société d’accueil et d’assumer sa citoyenneté sans renoncer au legs de ses origines.
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