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« Arzé » de Mira Shaib gagnera-t-il un Oscar ?

06/11/2024|Gisèle Kayata Eid, Montréal

Elle a 31 ans. Pleine de rêves et beaucoup de fierté. Et il y a de quoi. Son premier long métrage vient d’être primé pour représenter le Liban aux Oscars. Invitée au Festival arabe de Montréal, elle a présenté son film devant une salle comble.

 

Diplômée en sciences scéniques de la LAU puis de l’Université Concordia, Mira Shaib aura beaucoup galéré avant d’obtenir cette récompense; les deux derniers films ayant eu cet honneur étant « L’insulte » en 2017, suivi de « Capharnaüm » en 2019. La jeune réalisatrice avoue avoir travaillé huit ans depuis la conception de l’idée jusqu’à ce soir où en costume noir et l’œil vif, elle explique son cheminement : entre la Covid, l’attente d’un financement, les différentes étapes de la réalisation, la coordination avec toute l’équipe, les déplacements notamment entre Beyrouth où se déroule le film et Montréal où elle habite… Elle ne savait pas encore qu’au bout de ses peines, un succès foudroyant l’attendait… Et pour cause.

 

Difficile de raconter le film « Arzé ». Un condensé de tous les problèmes inextricables du Liban, judicieusement tramé, présenté à la fois de façon ludique et sentimental. Une gageure.

C’est donc l’histoire d’un trio : une femme monoparentale qui vit au seuil de la pauvreté avec sa sœur, victime d’un choc post-traumatique, et son fils amoureux qui livre les fatayer aux épinards qu’elle confectionne dans sa petite cuisine pour essayer de survivre.

 

Tous les ingrédients sont là : l’état d’indigence dans laquelle se retrouvent les Libanais, les problèmes psychologiques dont ils souffrent suite aux nombreux cataclysmes qu’ils subissent, les jeunes révoltés et impuissants à dessiner leur avenir qui vivent des séparations déchirantes quand les décisions de quitter le pays surgissent…

 

L’astuce a été de placer le tout dans Beyrouth. Ce Beyrouth aux mille visages, aux accents multiples, aux confessions cloisonnées et dont personne n’a l’exclusivité de la roublardise. Et c’est là tout le talent de la réalisatrice et des deux scénaristes-producteurs Faisal Sam Shaib et Louay Khraish : faire en sorte que chaque Libanais puisse se retrouver dans ce film, sans jamais jeter l’opprobre sur un groupe ou un autre, sans jamais deviner à quel groupe appartient l’héroïne, sans jamais déceler un indice qui pourrait nous aiguillonner. Un masterpiece dans l’art de dénoncer tout le monde sans pointer du doigt le fautif.

 

Ce tour de passe-passe génialement orchestré se déroule dans plus de 20 emplacements de la capitale qui ont été filmés en moins de 20 jours. L’intrigue avance autour d’une mobylette achetée pour faciliter la livraison des fatayers et son vol le lendemain. La course effrénée, à pied, de la jeune mère, superbement jouée par Diamand Abou Abboud, impeccable et implacable dans sa détermination, pour retrouver la moto rouge de son fils Kinan (Bilal Al Hamwi), met en relief, en l’absence de l’État (voir la scène typique du commissariat), la propension typique des Libanais à se rejeter la faute. Le tout, et c’est le plus de ce film charmant, avec beaucoup d’humour, malgré le tragique de la situation.

 

Mais ce n’est pas tout. La grande force du film réside dans la charge émotive que le spectateur éprouve et dont s’acquittent brillamment les acteurs, notamment Betty Taoutal, qui campe un personnage trituré d’émotions. Un rôle qui personnifie les situations qui caractérisent les libanais et dans lesquelles ils se retrouveront : L’espoir contre vents et marées, la douleur de la séparation, l’attente irraisonnée du retour de l’être aimé, la patience, la cohésion de la famille, l’abnégation et l’amour inconditionnel… Un florilège de sentiments libérés.

La résilience, les vies brisées, l’espoir fou d’un jour meilleur, la tendresse malgré tout … On l’aura compris, Mira Shaib a visé en plein dans le mille.  

 

Le film présenté par le Tribeca film Festival de New York, est en tournée mondiale dont : l’Asian World Film Festival à Pékin, des Premières à Paris, en Australie, au Ciné Fem 12, au Festival du Monde Arabe de Montréal, une séance (prévue avant l’inondation) à la Mostra de Valencia, au Festival international de Carthage en décembre 2024, celui du Caire en 2025, bientôt San Francisco, Los Angeles…  et sur tous les écrans au Canada et aux Etats-Unis… et bien sûr toujours en salle à Beyrouth.

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