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DESORDRE ou le pouvoir de donner du sens

06/02/2025|Maya Trad

S’il est souvent difficile de créer sous l’effet des perturbations, et qu’un temps de recul est parfois nécessaire aux artistes pour donner lieu à des œuvres révélatrices d’une période mouvementée, Bechara Mouzannar en partenariat avec Philippe Jabre, n’aura pas attendu que la tempête passe, que la crise ou les crises soient derrière nous, d’ailleurs le seront elles jamais vraiment, pour pousser 4 jeunes réalisateurs à faire éclore une œuvre d’anthologie. Au contraire.

C’est sous perfusion que le film a été réalisé, en un tout désordonné mais cohérent. DÉSORDRE est la somme de quatre courts métrages, quatre regards personnels sur notre pays, quatre traitements stylistiques qui se complètent dans les différences qui font leur cohérence et qu’on regarde l’un à la suite de l’autre, monter en crescendo puis glisser dans une forme de poésie. Les quatre histoires sont regroupées sous le thème du grand chamboulement qu’a vécu le Liban entre 2019 et 2023. Ils opèrent une sorte de construction qui finit par dresser le portrait fragmenté mais significatif de ce Liban en désordre. Une polyphonie qui s’harmonise, et qui surtout fait sens de façon honnête et vraie.

 



On en ressort troublé, pensif, conquis par ce jeu de miroir qui nous distance pour mieux nous dire qui nous sommes. Peut-être parce que les libanais ne trouvent leur raison d’être que dans le désordre, et que Bechara Mouzannar, formé à la publicité et au cinéma sait faire résonner des voix et explorer des talents tout en liant l’efficacité d’un message à la dimension onirique ou surréaliste d’un trouble.

Le film a été produit par Philippe Jabre, producteur exécutif avec Bechara Mouzannar, et co-produit par Ginger Beirut Productions (Lara Karam Checkerdjian et Abla Khoury) et studio Humbaba, et distribué par Front Row (Dubai). Il a aussi bénéficié du soutien de Nadine Labaki et Khaled Mouzanar. Les réalisateurs, Lucien Bourjeily, Bane Fakih, Wissam Charaf et Areej Mahmoud ont pensé et écrit leurs scénarios sous la supervision de Bechara Mouzannar qui a joué le rôle de curateur du projet. Réalisé en des temps décalés tout au long des quatre années qui ont suivi le déclenchement de la révolution d’octobre 2019, le film a suivi lui aussi un parcours semé d’embûches, en passant par des difficultés de tournage et de montage, pour finalement être montré une première fois au festival international de Gouna, en novembre 2024 où il a reçu le prix de l’audience. Il a également fait partie du Festival du Cinéma Arabe à Dubai, et sera montré le 7 février à l’Institut du Monde Arabe à Paris, et prochainement au Liban.

 

THE GROUP


La première voix qu’on entend dans le film, est celle du groupe. Lucien Bourjeily avec The group introduit sa caméra au sein d’une cellule de crise rassemblant des jeunes chez l’un d’entre eux pour organiser une mission. Nous sommes en 2020 quelques temps après la révolution. Ce retour sur ce moment euphorique, comme si on y était a de quoi mettre le doigt sur la blessure des espoirs déçus. Alors qu’en bas la rue gronde, la scène est tournée en huis clos en un seul et unique plan séquence dans un souci de réalisme extrême si bien qu’on a l’impression d’y être.


MOTHERLAND

Autre scène d’intérieur, autre décor, le film suivant, MOTHERLAND de Bane Fakhi nous transpose dans une famille chiite de la banlieue sud où s’affrontent 3 sœurs, les talentueuses Manal Issa, Petra Serhal et Yara Abou Haidar avec une mère autoritaire jouée par Hanane Hajj Ali , conservatrice. C’est une autre forme de révolte. Celle des femmes tenues par un patriarcat en coulisse. Scène de cuisine sur fond sonore de travaux de réparation menés en contre champ. Le film contenu dans une tension latente, cherche à colmater les choses alors qu’elles finissent par voler en éclat au fur et mesure que la tension monte et que les digues explosent. Une scène tournée deux ans avant Les graines du figuier sauvage de Mohammad Rasoulof, mais qui en fait étrangement l’écho avec une mère qui se fait la garante de l’établissement patriarcal.

 

Alors que ces deux premiers films jouent sur un hyper réalisme et que les voix discordantes des jeunes dans le premier et des femmes dans le second remplissent la toile sonore pendant que l’action bat son plein, le calme vient s’installer dans les deux films suivants, comme si on passait de l’autre côté du miroir, là où se logent les rêves absurdes et les manifestations métaphysiques. Ils opèrent un glissement vers une forme de surréalisme qui traite l’absurde et questionne notre raison d’être.

 
DON'T PANIC

Wissam Charaf avec Don’t Panic joue avec l’absurde de situation en confrontant deux personnages sur un banc public, un ancien coach de vie devenu totalement impuissant et dépressif avec la crise monétaire et son ancien patient qui se propose de devenir coach de la mort. C’est la crise économique et la dévaluation de la livre libanais qui confèrent la toute-puissance masculine à ceux à qui profite la crise, comme ce personnage de changeur, un nabot qui rentre à la pharmacie réclamer des capotes XXL.

Et que va t-il se passer ensuite quand un petit bout de ciel va se détacher pour nous tomber dessus ? C’est Areej Mahmoud avec A Piece of heaven qui clôture le film avec son court métrage qui pousse encore plus loin les limites de notre compréhension dans une fable toute en poésie. Chaker Bou Abdalla, y joue son propre rôle de comédien de Stand Up et devient malgré lui l’instigateur d’une prédiction qui se réalise. Une météorite va nous tomber sur la tête. La ville qui se vide, les rues qui prennent la dimension de la solitude, nous transposent dans une troisième dimension aux confins de la fin du monde. Les libanais qui ont appris à danser sur les décombres et à cueillir leur sort comme un destin dont ils ne sont pas le maître, voilà qui est dit et tout qui reste à faire, et c’est la preuve que seul le cinéma a le pouvoir de changer les choses et la fiction, celui de nous sauver.

A PIECE OF HEAVEN

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