La Force du coquelicot : le rire comme acte subversif
11/03/2025|Noame Toumiat
Le 21 mars, au cinéma Luxy situé à Ivry-sur-Seine, aura lieu la projection du film documentaire La Force du coquelicot, réalisé par la journaliste franco-libanaise Mona Hammoud. Loin des récits médiatiques traditionnels sur le Liban et des narratifs persistants sur la région du Proche et Moyen-Orient, Mona Hammoud dresse un portrait contemporain de la société libanaise à travers les voix de cinq humoristes qui font du rire un outil de subversion.
Journaliste de formation, Mona Hammoud a vécu entre Dubaï, le Liban et la France. Principalement journaliste et présentatrice à la télévision, elle a couvert pendant plusieurs années des crises sociales et politiques en Europe et au Proche et Moyen-Orient. La Force du coquelicot est née d'une conjonction d'éléments et d’événements. La guerre à Gaza et au Liban-Sud ont été des facteurs déterminants dans la réalisation du projet. Témoignant d’une “éthique journalistique piétinée”, décontenancée par la déshumanisation et les récits médiatiques promulgués alors qu’elle fait partie de la profession, elle est convaincue de l’urgence de se réapproprier les récits et de créer de nouveaux narratifs, loin de l’omniprésence de la violence et de la réduction des vies humaines aux chiffres affichés. Sa démarche ? Réhumaniser ces vies à travers la caméra en offrant un récit visuel alternatif.
Le rire pour survivre, la scène pour résister
Comment créer différents schémas narratifs dans ce contexte de guerre ? Et avant cela, face aux problématiques économiques et politiques ? Dans quelle mesure peut-on dessiner le portrait de la société libanaise lorsque les récits traditionnels se focalisent sur les scissions ?
Le rire. Loin d’une trivialité suggérée, il porte en lui un caractère révolutionnaire. En regardant les vidéos de différent·e·s comédien·ne·s, elle a réalisé comment les humoristes pouvaient aborder une multiplicité de sujets par le rire, devant un public élargi.
Les cinq comédien·ne·s témoignent de leur parcours et de l’importance du stand-up au Liban, tour à tour devant la caméra. Stephanie Ghalbouni aborde et explique sa condition en tant que femme dans le milieu du stand-up, ainsi que le fait de briser les tabous et les codes sociaux. Chaker Bou Abdallah, John Achkar, Mohamad Baalbaki et Wissam Kamal viennent d’horizons différents, traitent de sujets variés et mettent en exergue la manière dont le rire a une portée plurielle : un moyen de survie, une critique sociale et politique, un espace de rassemblement où différentes confessionnalités se côtoient.
Le coquelicot, symbole d'enracinement et de résistance
Métaphore de l'enracinement, le coquelicot est omniprésent dans les symboles de la lutte palestinienne. Il incarne aussi l’attachement à la terre, que Mona retranscrit à travers ce récit visuel et que les comédien·ne·s expriment par leurs paroles. Progressivement, on s’immisce dans l’intimité de leur histoire, et une proximité surprenante s’intensifie au fil du documentaire.
Cette force, Mona l’a travaillée méticuleusement au cours de deux voyages, précédés d’enquêtes et de castings pour sélectionner des comédien·ne·s porteur·se·s d’un message. En s’entretenant au préalable avec les artistes avant de filmer, elle a pu nouer un lien de confiance et humaniser ces portraits, capturant leur vulnérabilité à travers la caméra.
Les rires se mêlent aux sentiments anxieux de monter sur scène, ainsi qu’à des témoignages plus poignants de traumatismes. Une palette d’émotions que Stephanie Ghalbouni résume en riant: “C’est parce que l’on est dans une situation de merde qu’on a besoin de rire.” De son côté, Wissam Kamal déconstruit la notion de résilience souvent évoquée: “ Chez nous les Libanais, il y a un truc qui ne va pas. Le délire de résilience et qu’il faut vivre à tout prix (...) On ne contrôle rien, alors que faire ? Autant en rire.”
Le stand-up, un nouvel espace d’infra-politique ?
La réalisatrice et les comédien·ne·s sont conscient·e·s de la censure qui pèse sur certains sujets, et les polémiques ont été nombreuses. Le stand-up apparaît comme un nouvel espace de discussion, permettant d’aborder un large éventail de sujets controversés. Ces humoristes, souvent sans vocation initiale à devenir comédien·ne·s, exerçaient d’autres métiers. Pourtant, au-delà du rire, ils témoignent à travers ce médium de la société libanaise : ses défauts, ses qualités, ses non-dits, ses stratégies de survie.
C’est là toute la force du rire : restaurer un espace d’expression là où il est limité dans les formes traditionnelles du discours politique. John Achkar témoigne : “C’est fou de faire plus confiance à nos comédiens qu’à nos politiques !”. Il souligne que la thawra de 2019 a contribué à délier le langage ; malgré la censure, quelque chose s’est libéré dans la parole. Le rire est une forme d’infra-politique : par l’oralité et son caractère non institutionnel, il permet de construire un discours qui alimente le fait politique dans sa représentation populaire, en dehors des espaces traditionnels du pouvoir.
La force du documentaire réside dans sa capacité à entremêler ces récits divers, à traiter des problématiques sociales, notamment en temps de guerre, tout en mettant en lumière l’attachement à la terre, commun à tou·te·s les Libanais·es. Sans enjoliver, sans glorifier une résilience imposée au peuple, sans se focaliser uniquement sur des éléments tragiques, Mona propose un récit objectif sans jamais gommer la sensibilité qui l’accompagne. Elle démontre que la retranscription des événements repose autant sur une approche factuelle qu’humaniste. L’un et l’autre ne s’opposent pas : ils sont complémentaires et essentiels à la restitution d’une histoire.
Où le visionner ?
Déjà récompensé par l'Award du Best Documentary au Dublin International Comedy Film Festival en novembre 2024 et sélectionné au Beirut International Women Film Festival en mai 2025 ainsi qu’au Respect Human Rights Film Festival en mars 2025, le film de la réalisatrice sera projeté :
Le 21 mars à 20h au cinéma Luxy à Ivry-sur-Seine
Le 3 avril à 19h au Centre Arabe de Recherches et d’Études Politiques Le 18 avril à 20h45 au Pré de Chez Vous au Pré-Saint-Gervais
Le 22 avril à 19h à la Maison de la Conversation à Paris
Images par Elsy Hajjar
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