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Lebanese Diaries, le film de Myriam el Hajj entre espoir et colère

13/01/2025|Maya Trad

Le Festival de Metropolis, Écrans du réel, projette Lebanese Diaries de Myriam El Hajj, un documentaire co-produit par Abbout Productions et Gogogo film, déjà remarqué et primé lors de nombreux festivals internationaux en 2024, dont les prestigieux Festival de Berlin, celui des Champs Elysées à Paris ou le hot Docs au Canada.

 

Trois personnages, trois combats, trois générations, trois désillusions… qu’est ce qui unit dans cette œuvre documentaire un ancien milicien (Georges Moufarrej), une candidate aux législatives de 2018 (Joumana Haddad) et une artiste activiste (Perla Joe Maalouli) sinon la rage d’un combat pour le changement, et l’amertume de voir leurs rêves fracassés. Le film dont le tournage a débuté en 2018, s’est fabriqué au fur et à mesure, en fonction et autour des événements qui ont marqué les 4 années qui ont suivi et qui se sont imposés à lui comme une réalité incontournable jusqu’à donner à cette œuvre documentaire son rythme, sa construction et son sens. En faisant un va et vient rythmé entre ses 3 personnages à travers leurs expériences réelles, la réalisatrice alterne entre la réalité filmée sur le vif et les questionnements existentiels sur la destinée du Liban. Avec les images vécues et fortes de la campagne électorale de 2018 et ses coulisses et celles de la révolution de 2019, on vit la ferveur du « pendant » et la déception de « l’après », tout en faisant résonner le passé avec le présent pour tenter de comprendre.

 

Le film s’ouvre sur un paysage de montagne libanaise sur fond de brume, avec la voix off d’une femme, qui pourrait tout aussi bien être celle d’une petite fille, qui questionne son aîné : « Pourquoi ça ne va pas pour moi sentimentalement ? et pour mon pays ? ». Plus tard au cours du film, elle dira que le Liban est pour elle comme une histoire d’amour déçu mais à laquelle on ne peut cesser de croire. Cette petite touche poétique qui semble placer le destin du Liban dans les prophéties revient tout au long du documentaire, faisant dialoguer ainsi la réalité et le rêve dans un désir de comprendre le sort de ce pays qui tente de se relever qui n’a de cesse de croire aux miracles.

On entre ensuite dans les coulisses des préparatifs de la campagne électorale de Joumana Haddad, premier personnage de ce documentaire, candidate sur la liste de Koulouna Watani, et dont la victoire annoncée sera tout de suite démentie. Une fraude électorale qui fait capoter les espoirs d’une société civile et dénonce un pouvoir gangrené. Dans les bureaux de la candidate, l’espoir était pourtant là, porté par des discours de changements, une soif de nouveauté. Les images saisissantes prises au cœur de cette campagne, nous montrent que le changement à ce moment, tout le monde le veut et le souhaite, surtout les jeunes que filme la réalisatrice en train d’exprimer leurs rêves de voir le pays sortir de son immobilisme et de la corruption.  Mais les éclats de joie et les applaudissements au moment de l’annonce de la victoire, sont tous aussitôt bafoués par un démenti et une annulation de ce résultat, sans explications aucunes. L’affaire de cette fraude est à l’image d’une réalité qui brime la parole et la place au changement. Myriam el Hajj filme ces moments de liesse et de colère. Or cette première déception n’est que la première dans le lot de celles à venir, qui d’espoir en ferveur, vont laisser la place à l’amertume et à la rage.


C’est ensuite dans les pas de Perla Joe Maalouli que Myriam el Hajj suit un an plus tard la révolution de 2019 en cours. Cette artiste activiste s’y est vouée corps et âme avant de se fracasser les ailes. Elle la suit, l’interroge et la laisse exprimer son ressenti dans une sincérité qui réveille toutes les blessures et la nécessité d’en témoigner. La crise des banques qui suit, les années Covid, la chute économique du pays et bien sûr, l’indépassable explosion du 4 Aout qui reste à jamais la plus douloureuse des meurtrissures, s’enchaînent au fil des quatre années qui suivent et la caméra accompagne la dégringolade et le combat perdu de ses deux personnages.

Les images retenues de ces périodes noires en sont de précieux témoignages. Mais pour questionner pourquoi le Liban ne réussit pas malgré sa volonté et les espoirs de changement à s’extirper de cet engluement et semble « maudit » dans sa descente aux enfers, la réalisatrice s’appuie sur un troisième personnage, Georges Moufarrej, énigmatique dans ses propos, surnommé Abou el Lel, parce qu’il ne dort pas la nuit. Cet ancien milicien semble détenir la vérité et des confessions inavouables sur le début de la guerre civile pour éclairer l’inextricable situation du présent et des commencements de la guerre civile avec l’attentat du bus de Ain el Remeneh. C’est là, dans ce quartier marqué par le début de la guerre, qu’elle nous emmène, sur les traces de l’inexplicable.


Avec lui les images sont lentes comme les gestes du barbier chez qui il converse pendant des heures, tandis que le pays s’enflamme et se débat.

Sans chercher à faire une analyse politique ou factuelle, et tout en laissant volontairement de côté la question du Hezbollah, et la dernière guerre Israélienne de 2024, elle se place du côté des interrogations inter communautaire, chrétiennes en particulier, et laisse résonner les vieux démons de la guerre civile, là où tout a commencé.

Difficile de sortir indemne de ce visionnage, qui sans le vent d’espoir qui semble souffler aujourd’hui, nous aurait laissé encore plus amer. Quand est ce que le pays cessera-t-il enfin de croire aux miracles et prendre son destin en main. C’est ce que Lebanese diaries semble vouloir nous murmurer sur les notes amères du cri de colère de la fin, chanté par Perla Joe, une colère qui n’en finit pas de gronder.

Photo : @François Rousseau

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